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non plus que cette composante de l’état moral qui saute aux yeux, et il le fait d’autant plus aisément que cela lui permet de revenir sur son dada : la nullité du rôle des personnalités dirigeantes dans une bataille. Plus habitué à retourner les faits sous toutes leurs faces avant de se prononcer, il n’aurait pu tirer qu’une seule conclusion de la chose qui l’occupe : c’est que le moral à un moment donné dépend principalement de celle de ses composantes qui, pour une raison quelconque, acquiert à ce moment une importance prédominante. Partant de là, la force prédominante sera tantôt la différence d’armement, tantôt la différence des motifs pour lesquels la guerre a lieu, etc., etc., jusqu’à l’infini. Mais, lui, il s’imagine que ce qui est vrai pour Borodino sera encore vrai dans toutes les batailles !

Nous ne nous arrêterons pas à examiner les raisonnements du prince André à propos de la convenance de ne point faire de prisonniers, mais de tuer, sous prétexte qu’alors il ne pourra plus surgir de guerre que pour des causes sérieuses. Nous ne nous arrêterons pas non plus sur sa sortie à propos des mœurs de la classe sociale des militaires : esclavage (c’est-à-dire discipline), oisiveté, ignorance, cruauté, ivrognerie, débauche. Tout ça ce ne sont pas des raisonnements, mais une orgie de gros mots pour se soulager. Pour le prince André, tout était une affaire de sensations personnelles. Cela lui échappe quand il dit : « Celui qui est parvenu à cela, comme moi, par les mêmes souffrances… ». On sent qu’il éprouve le besoin de se consoler, d’épancher sa bile, de soigner son bobo. Il est si facile de se rendre compte que la discipline est une chose indispensable non seulement dans l’armée, mais encore dans tout l’organisme social. Toute la différence est dans le degré et le caractère et non dans le principe. De même l’oisiveté, l’ignorance, la cruauté, l’ivrognerie, la débauche ne sont pas la propriété exclusive de l’organisation militaire et ne sont pas moins répandues chez le reste des hommes. Si le prince André ne s’en aperçoit pas, c’est qu’il est trop en colère. Et quand un homme se fâche, Dieu sait ce qu’il peut dire !


III.


Les considérations théoriques, qui appartiennent en propre à l’auteur, pèchent toutes par un point : c’est qu’il ne voit les