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exemple, au siège de Saragosse, à ce que dit Napier. Mais qu’est-ce que cela peut me faire ? Dans la coulisse ou sur la scène il y a toujours des gens qui tiennent les fils, et là est toute la question.

L’auteur fait feu des quatre pieds pour rabaisser, pour réduire à néant ces personnalités dirigeantes. Il narre en conséquence. Est-il question de l’armée française après Borodino ? Elle pousse de l’avant d’elle-même « par la vitesse acquise » ; Napoléon n’y est pour rien. L’occupation de Moscou ? Il ne l’a pas voulue. Les Français y restent sans aucune raison visible, et non parce que Napoléon, mal inspiré par la routine de ses succès précédents, s’imagine que la chute de la capitale rendra encore cette fois la paix inévitable. Ils filent de Moscou, non parce que Napoléon a perdu tout espoir de faire la paix et que les partisans commencent à inquiéter fortement ses communications, non pas à cause de l’affaire de Taroutino, bref, ici encore, sans le moindre motif indiqué.

Napoléon, reconnaissant le danger de la poursuite latérale dont le menaçait la position de notre armée à Taroutino, se décide à reprendre vis-à-vis de nous une position de front et se jette sur Maloyaroslavets ; puis tout à coup il reprend la route de Smolensk, non point parce qu’il s’est heurté à une résistance inattendue, qu’il a failli lui-même être pris par des Cosaques et qu’il n’a plus osé persister dans sa résolution première, mais parce que « cela devait arriver ».

Il est vrai que l’instinct artistique de Tolstoï se révolte et qu’il lui échappe souvent de dire plus qu’il ne voudrait dans l’intérêt de sa thèse. Dans ce cas-là, après avoir raconté les choses comme elles se sont passées réellement, il se reprend et cherche à rattraper l’impression produite, en se livrant à une explication tirée par les cheveux dans l’esprit de ses théories.

« Du moment où les enfants du Don avaient failli pincer l’Empereur lui-même au milieu de son armée, il était clair qu’il n’y avait plus qu’à filer par la route connue la plus voisine. Avec sa bedaine de quarantenaire, Napoléon, moins leste et moins hardi que naguère, comprit l’avertissement. Et, sous l’influence de la frayeur que lui avaient inspirée les Cosaques, il se laissa aisément persuader par Mouton et donna, à ce que disent les historiens, l’ordre de battre en retraite sur la route de Smolensk. »