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préoccupé des subsistances ? Alors tenez votre armée plutôt divisée que concentrée. Vous attendez-vous à combattre ? Resserrez-la, quand même les approvisionnements devraient en souffrir. Espérez-vous surprendre l’ennemi ? Renoncez dans ce cas à attendre l’arrivée en ligne de tout votre monde pour ne pas laisser échapper une belle occasion, frappez avec ce que vous avez sous la main. Privez-vous également au besoin d’une partie de vos forces dans le combat sur votre front pour la faire agir sur le flanc ou sur les derrières de l’ennemi, parce que le résultat qu’elle y obtiendra aura infiniment plus de valeur ; mais cela suppose que vous vous croyez déjà sûr du succès. S’agit-il au contraire de briser la résistance d’un adversaire qui se tient sur ses gardes par une attaque de front décisive, alors ne négligez pas d’y amener jusqu’à votre dernier bataillon et concentrez vos forces tant que vous pourrez. Enfin, dans l’exécution du combat lui-même, l’ordre dispersé convient mieux pour le feu, la concentration pour l’attaque à l’arme blanche. Il ne s’agit donc pas de savoir, en général, si la concentration vaut mieux que la dispersion, mais quand il convient d’avoir recours à la première plutôt qu’à la seconde, et réciproquement. Voyez comment s’y prend Napoléon. S’agit-il de livrer bataille ? il attire à lui tout ce qu’il lui est humainement possible de grouper. Mais une fois que l’adversaire est ébranlé sans revirement possible, il disloque ses forces en un clin d’œil : qui pour la poursuite, qui pour appuyer les troupes chargées de cette poursuite, qui pour se reformer et se reposer de ses pertes, etc.

Il y a, c’est vrai, des théories échafaudées uniquement sur la concentration (Jomini) ou inversement sur la dispersion des forces (Bülow, système du cordon). Mais si ce sont les premières que visent les arguments de l’auteur, au moins aurait-il convenu de dire qu’il s’en prenait aux théories de MM. X. ou Y. et non à la théorie de l’art de la guerre dans son état actuel :

« On nommait cette guerre la guerre de partisans, et on supposait que le nom suffirait pour faire comprendre la chose ; tandis que ce genre de guerre n’admet aucune règle et se trouve même en contradiction flagrante avec une règle de tactique bien connue et considérée comme infaillible, à savoir que « celui qui attaque doit concentrer toutes ses troupes de façon à être à un moment donné du combat plus fort que son adversaire. »