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INTRODUCTION

que ces deux écritures n’ont pas été tracées par la même main. Il n’y a plus de doute possible. Il ne saurait s’agir de l’écriture de Dreyfus là où l’on retrouve, sans différence aucune, trait pour trait, celle d’Esterhazy.

Qui nie le fait ?

Personne. Trois experts, MM. Couard, Varinard et Belhomme ont bien prétendu que ce n’était pas le commandant qui avait dû lui-même écrire le bordereau ; mais ils ont si bien reconnu le cachet propre de son écriture qu’ils ont admis que cette écriture avait dû être décalquée sur des correspondances émanées de lui.

C’est complaisamment accepter l’hypothèse imaginée par Esterhazy lorsque, frappé lui-même par une similitude écrasante, il avait essayé de prétendre que quelqu’un avait dû le décalquer ; mais non seulement cette histoire de décalque n’a pas le sens commun : il faut ajouter que, fût-elle vraie, elle suffirait encore à disculper Dreyfus. Où serait, en effet, la preuve, s’il y avait eu décalque de l’écriture d’Esterhazy, que ce fût Dreyfus qui en eût été l’auteur ?

Non seulement il ne serait pas plus plausible de le lui imputer qu’à tout autre, mais il y aurait même, à son égard, une circonstance particulière qui devrait écarter de lui tout soupçon. S’il eût fabriqué le bordereau en simulant l’écriture d’Esterhazy, il faudrait, en effet, supposer qu’il aurait eu la pensée de détourner sur ce dernier l’accusation, si la trahison venait à être découverte. Or, comment expliquerait-on alors qu’il se fût laissé condamner en 1894 sans chercher à profiter de sa manœuvre ; qu’il eût souf-