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LETTRES D’UN INNOCENT


J’ai été débarqué il y a quelques instants et j’ai obtenu de t’envoyer une dépêche.

Je t’écris vite ces quelques mots qui partiront le 15 par le courrier anglais. Cela me soulage de venir causer avec toi que j’aime si profondément. Il y a deux courriers par mois pour la France, le 15, courrier anglais et le 3, courrier français.

De même, il y a deux courriers par mois pour les Îles, le courrier anglais et le courrier français. Informe-toi de la date de leur départ et écris-moi par l’un et par l’autre.

Ce que je puis te dire encore, c’est, si tu veux que je vive : fais-moi rendre mon honneur. Les convictions, quelles qu’elles soient, ne me servent de rien ; elles ne changent pas ma situation ; ce qu’il faut, c’est un jugement me réhabilitant.

J’ai fait pour toi le plus grand sacrifice qu’un homme de cœur puisse faire en acceptant de vivre après ma tragique histoire, grâce à la conviction que tu m’as inculquée que la vérité se fait toujours connaître. À ton tour, ma chérie, de faire tout ce qui est humainement possible pour découvrir la vérité.

Épouse et mère, tâche d’émouvoir les cœurs d’épouses et de mères pour qu’on te livre la clé de cet horrible mystère. Il me faut mon honneur si tu veux que je vive ; il le faut pour nos chers enfants. Ne raisonne pas avec ton cœur, cela ne sert à rien. Il y a un jugement, rien ne sera changé dans notre tragique situation tant que le jugement ne sera pas révisé. Réfléchis donc et agis pour déchiffrer cette énigme, cela vaudra mieux que de venir ici partager mon horrible situation, ce sera le meilleur, le seul moyen de me sauver la vie. Dis-toi bien que c’est