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LE CAPITAINE DREYFUS

ainsi que celle de ta mère et celles de nos frères et sœurs datant de la même époque.

C’est sous l’impression de leur lecture que je veux te répondre. D’abord la joie immense que j’ai eu en te lisant : c’était quelque chose de toi qui venait me retrouver, c’était ton bon et excellent cœur qui venait réchauffer le mien.

J’ai vu aussi, ce que je sentais déjà, combien tu souffrais, combien vous souffriez tous de cet horrible drame qui est venu nous surprendre en plein bonheur et nous arracher l’honneur. Ce mot dit tout, il résume toutes nos tortures, les miennes comme les vôtres.

Mais du jour où je t’avais promis de vivre pour attendre que la vérité éclatât, que justice me fût rendue, j’aurais dû ne plus faiblir, imposer silence à mon cœur et attendre patiemment. Que veux-tu, je n’ai pas eu cette force d’âme ; le coup avait été trop dur, tout en moi se révoltait à la pensée du crime odieux pour lequel j’étais condamné. Mon cœur saignera tant que ce manteau d’infamie couvrira mes épaules.

Mais je te demande pardon si je t’ai parfois écrit des lettres exaltées ou plaintives qui ont dû augmenter encore ton immense chagrin. Ton cœur et le mien battent à l’unisson.

Sois donc certaine, ma chère et bonne Lucie, que je résisterai de toutes mes forces pour atteindre le jour où mon honneur me sera rendu. J’espère que ce jour viendra bientôt ; jusque là, il faut regarder devant nous.

Les nouvelles que tu me donnes de nos chers enfants m’ont également fait plaisir. Fais leur pren-