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LE CAPITAINE DREYFUS
Le 27 décembre 1895.
Ma chère Lucie,

Je n’ai pas encore reçu tes chères lettres du mois d’octobre ! Ni le courrier français du mois de novembre, ni le courrier anglais du mois de décembre ne les ont apportées ! Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’en penser ? Dans quel horrible cauchemar vis-je depuis tantôt quinze mois ?

Enfin, souffrir, hélas ! ma pauvre chérie, nous savons tous deux ce que cela est, et peu importent d’ailleurs les souffrances, car quelles qu’elles soient il te faut notre honneur, celui de nos enfants.

Je t’ai écrit longuement le 2 décembre ; ajouter quelque chose à cette lettre, comme d’ailleurs à toutes les précédentes, serait bien superflu, n’est-ce pas ? Nos pensées sont communes, nos cœurs ont toujours battu à l’unisson, nos âmes vibrent aujourd’hui ensemble et veulent leur honneur avec l’ardeur brûlante d’êtres honnêtes frappés dans ce qu’ils ont de plus précieux.

J’attends avec une impatience fébrile de tes nouvelles. Je pense qu’elles finiront bien par me parvenir, je dirais même que j’attends presque chaque jour une nouvelle heureuse et j’espère apprendre enfin quelque chose de certain, de positif, que la lumière est faite, tout au moins en bonne voie de se faire, sur cette lugubre et triste histoire.

Laisse-moi te dire simplement aujourd’hui que ta pensée, celle de nos chers enfants, me donnent seules encore la force de vivre ces longues journées et ces interminables nuits. Je t’embrasse de toutes mes forces comme je t’aime, ainsi que nos chers et adorés enfants.

Ton dévoué,

Alfred.