Page:Dreyfus - Lettres d un innocent (1898).djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
LE CAPITAINE DREYFUS

murmure tout bas trois noms qui sont mon talisman, qui me font vivre : le tien, ceux de nos chers petits Pierre et Jeanne.

Espérons que nous verrons bientôt la fin de cet horrible drame. T’écrire longuement, je ne le puis, car que pourrais-je te dire qui ne nous soit commun ? Je vis en toi du matin au soir et du soir au matin ; toutes mes facultés sont tendues vers le but qu’il faut atteindre, que tu atteindras, tout mon honneur de soldat, tout l’honneur de nos enfants !

Je te donne peut-être parfois des conseils extravagants, issus des rêveries d’un solitaire qui souffre le martyre, martyre fait non seulement de sa douleur, mais de la tienne, de celle de vous tous… et cependant je sais bien que vous êtes meilleurs juges que moi pour apprécier les moyens d’arriver à ma réhabilitation complète, éclatante. Je vais passer une bonne partie de la nuit, de bien longues journées à lire et relire tes chères lettres, à vivre avec toi, à te soutenir par la pensée, de toutes mes forces, de toute mon ardeur, de toute ma volonté.

Ma santé est bonne, ne te fais nul souci à cet égard. Pour te rassurer, d’ailleurs, j’ai demandé à t’envoyer une dépêche, je pense qu’elle te parviendra. J’espère que ta santé, comme celle de vous tous, est bonne aussi ; il faut te soutenir physiquement pour avoir les forces nécessaires pour arriver à ton but.

Souhaitons que nous puissions bientôt oublier, l’un près de l’autre, entre nos chers enfants, les péripéties de cet horrible drame. Dis-toi aussi, dites vous tous, que si parfois j’exhale des cris de douleur effrayants, c’est que je suis toujours aussi silencieux qu’un mort, que je n’ai que le papier, — mais que