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LETTRES D’UN INNOCENT

De grâces ou de faveurs, tu n’en as à demander à personne, tu veux la lumière et il te la faut.

Plus les forces décroissent, car les nerfs finissent par être complètement ébranlés par tant de secousses épouvantables, plus les énergies doivent grandir.

Jamais, jamais, jamais, — et c’est là le cri profond de mon âme, — on ne se résigne au déshonneur quand on ne l’a pas mérité.

Aujourd’hui, notre cher petit Pierre a cinq ans, tout mon cœur, toutes mes pensées vont vers lui, vers toi, vers nos chers enfants ; tout mon être vibre de douleur.

Que puis-je ajouter, ma chère Lucie ? Mon affection pour toi, pour nos enfants, tu la connais. Elle m’a fait vivre, elle m’a fait endurer ce que je n’aurais jamais accepté, elle me donne la force de tout endurer encore.

Tu dis que nous approchons du terme de nos douleurs. Je le souhaite de toutes mes forces, car jamais êtres humains n’ont souffert pareillement.

Je t’ai déjà écrit longuement, il y a une dizaine de jours, par le courrier français.

Je t’embrasse comme je t’aime, de toutes mes forces, ainsi que nos enfants.

Ton dévoué,

Alfred.

J’ai reçu, il y a quelques jours, l’envoi de revues et de livres du mois de novembre. Leur arrivée tardive provient de ce que l’envoi est fait par petite vitesse, c’est-à-dire par voiliers. J’en éprouve quelque soulagement.