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LETTRES D’UN INNOCENT
Le 4 août 1896.
Ma chère Lucie,

J’ai reçu tes lettres de mai et de juin toutes ensemble, ainsi que celles de la famille. Je ne veux pas te décrire mon émotion, après une si longue attente, car nous n’avons pas à nous laisser aller à des impressions aussi poignantes.

Je n’ai trouvé que deux lettres de toi dans le courrier de mai et j’ai été heureux de voir que tu étais installée à la campagne avec les enfants ; peut-être y trouveras-tu un peu de repos, si nous pouvons jouir de quelque repos tant que l’honneur ne nous sera pas rendu.

Oui, chère Lucie, des souffrances telles que les nôtres, aussi imméritées, laissent l’esprit hébété. Mais n’en parlons plus, il est des choses qui provoquent d’irrésistibles indignations.

Si je suis nerveux de voir arriver le terme de nos tortures à tous, si, sous l’influence des révoltes de mon cœur, mes lettres sont pressantes, crois bien que ma confiance, comme ma foi, sont absolues. Dis-toi que je ne vous ai jamais dit : espérez ; je vous ai dit : il nous faut la vérité tout entière, si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain ou après-demain, mais ce but sera atteint, il le faut. Fermons nos yeux sur nos tortures, comprimons nos cerveaux et nos cœurs. Courage et vaillance, chère Lucie, sans une minute de faiblesse ou de lassitude. Pour nous, pour nos enfants, pour nos familles, il faut la lumière, l’honneur de notre nom. Je viens, comme toujours, te crier à toi, comme à tous : haut les cœurs et les volontés !

Je souhaite de toute mon âme pour tous deux,