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LE CAPITAINE DREYFUS
Le 3 octobre 1896.
Ma chère Lucie.

Je n’ai pas encore reçu le courrier du mois d’août.

Je veux cependant t’écrire quelques mots par le courrier anglais, et t’envoyer l’écho de mon immense affection.

Je t’ai écrit le mois dernier et t’ai ouvert mon cœur, dit toutes mes pensées. Je ne saurais rien y ajouter. J’espère qu’on t’apportera ce concours que tu as le devoir de demander, et je ne puis souhaiter qu’une chose : c’est d’apprendre bientôt que la lumière est faite sur cette horrible affaire. Ce que je veux te dire encore, c’est qu’il ne faut pas que l’horrible acuité de nos souffrances dénature nos cœurs. Il faut que notre nom, que nous mêmes sortions de cette horrible aventure tels que nous étions quand on nous y a fait entrer.

Mais, devant de telles souffrances, il faut que les courages grandissent, non pour récriminer ni pour se plaindre, mais pour demander, vouloir enfin la lumière sur cet horrible drame, démasquer celui ou ceux dont nous sommes les victimes.

D’ailleurs, je t’ai parlé longuement de tout cela dans ma dernière lettre, je ne veux pas me répéter.

Si je t’écris souvent et si longuement, c’est qu’il y a une chose que je voudrais pouvoir exprimer mieux que je ne le fais, c’est que fort de nos consciences, il faut que nous nous élevions au-dessus de tout, sans gémir, sans nous plaindre, en gens de cœur qui souffrent le martyre, qui peuvent y succomber, en faisant simplement notre devoir, et ce devoir, si, pour moi, il est de tenir debout, tant que je pourrai, il est pour toi, pour vous tous, de vouloir la lumière sur