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LETTRES D’UN INNOCENT

sois héroïquement, invinciblement, tout à la fois mère et Française.

Maintenant, chérie, te parler de moi, je ne le puis plus. Si tu savais tout ce que j’ai subi, tout ce que j’ai supporté, ton âme en frémirait d’horreur, et je ne suis aussi qu’un être humain qui a un cœur, que ce cœur est gonflé à éclater, et que j’ai un besoin, une soif immense de repos. Ah ! représente-toi ce qu’une journée de vingt-quatre heures compte de minutes épouvantables dans l’inactivité la plus active, la plus absolue, à me tourner les pouces, en tête à tête avec mes pensées.

Si j’ai pu résister jusqu’ici à tant de tourments, c’est que j’ai évoqué souvent ta pensée, celle de nos enfants, de vous tous, et puis je savais aussi ce que tu souffrais, comme vous souffriez tous.

Donc, chérie, accepte tout, quoiqu’il arrive, quoiqu’il advienne, en souffrant en silence, comme une âme humaine très haute et très fière, qui est mère et qui veut voir le nom qu’elle porte, que portent ses enfants, lavé de cette souillure horrible.

Donc à toi, comme à tous, toujours et encore, courage et courage !

Tu embrasseras tes chers enfants pour moi, tu leur diras mon affection.

Tu embrasseras aussi tes chers frères et sœurs, les miens pour moi.

Et pour toi, pour nos chers enfants, tout ce que mon cœur contient de puissante affection.

Alfred.
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