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LETTRES D’UN INNOCENT

bien pour mon pays que pour toi, que pour vous tous, c’est de vouloir la lumière pleine et entière sur cet horrible drame, c’est de vouloir, sans faiblesse comme sans jactance, mais avec une énergie indomptable, que notre nom, le nom que portent nos chers enfants, soit lavé de cette horrible souillure.

Et ce but, tu dois, vous devez l’atteindre en bons et vaillants Français qui souffrent le martyre, mais qui, ni les uns, ni les autres, quels qu’aient été les outrages, les amertumes, n’ont jamais oublié un seul instant leur devoir envers la patrie. Et le jour où la lumière sera faite, où toute la vérité sera découverte, et il faut qu’elle le soit, ni le temps, ni la patience, ni la volonté ne devant compter devant un but pareil ; eh ! bien, si je ne suis plus là, il t’appartiendra de laver ma mémoire de ce nouvel outrage aussi injuste que rien n’a jamais justifié. Et, je le répète, quelles qu’aient été mes souffrances, si atroces qu’aient été les tortures qui m’ont été infligées, tortures inoubliables et que les passions qui égarent parfois les hommes peuvent seules excuser, je n’ai jamais oublié qu’au-dessus des hommes, qu’au-dessus de leurs passions, qu’au-dessus de leurs égarements, il y a la patrie. C’est à elle alors qu’il appartiendra d’être mon juge suprême.

Être un honnête homme ne consiste pas seulement à ne pas être capable de voler cent sous dans la poche de son voisin ; être un honnête homme, dis-je, c’est pouvoir toujours se mirer dans ce miroir qui n’oublie pas, qui voit tout, qui connaît tout ; pouvoir se mirer, en un mot, dans sa conscience, avec la certitude d’avoir toujours et partout fait son devoir. Cette certitude, je l’ai.