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LE CAPITAINE DREYFUS

personne que cela est parfois difficile ; il est impossible de ne pas sentir les blessures ; mais il le faut. Il ne s’agit ni de s’humilier, ni de s’abaisser, mais il ne faut pas non plus se perdre en cris inutiles : les cris ne sont pas des raisons.

Il s’agit simplement de soutenir et de vouloir énergiquement, sans faiblesse, avec dignité, son droit : le droit de l’innocence. Il faut agir avec ton cœur d’épouse et de mère, horriblement mutilé et blessé.

J’ai trop souffert, j’ai trop souvent été affolé par des coups de massue formidables, pour avoir pu toujours tenir cette conduite, qui était la seule saine et raisonnable. Et c’est précisément parce que souvent je ne sais où j’en suis, parce que les heures me deviennent trop lourdes, que je veux venir t’ouvrir mon cœur.

J’ai fait encore, tout ce mois-ci, de nombreux et chaleureux appels pour toi, pour nos enfants. Je veux souhaiter que cet épouvantable martyre ait enfin un terme, je veux souhaiter que nous sortions enfin de cet effroyable cauchemar dans lequel nous vivons depuis si longtemps. Mais ce dont je ne saurais douter, ce dont je n’ai pas le droit de douter, c’est que tous les concours ne te soient donnés, que cette œuvre de justice et de réparation ne se poursuive et ne s’accomplisse.

En résumé, ma chérie, ce que je voudrais te dire dans un effort suprême, où j’écarte totalement ma personne, c’est qu’il faut soutenir son droit énergiquement, car il est épouvantable de voir tant d’êtres humains souffrir ainsi, car il faut penser à nos malheureux enfants qui grandissent, mais sans y