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LE CAPITAINE DREYFUS
Le 25 février 1898.
Chère Lucie,

Comme toi, ma pensée ne te quitte pas un seul instant, ni de jour, ni de nuit, et si je n’écoutais que mon cœur, je t’écrirais à tout instant, à toute heure.

Si tu es l’écho de mes souffrances, je suis l’écho des tiennes, des vôtres à tous, je doute qu’êtres humains aient jamais souffert davantage. Ta pensée, celle des enfants, ma volonté tendue à tout instant vers toi, vers eux, me donnent toujours encore la force de comprimer mon cerveau, d’étouffer mon cœur.

Je t’ai écrit de bien nombreuses lettres dans ces derniers mois ; ajouter quelque chose à ces lettres serait du superflu. Je t’ai dit tous les appels que j’ai adressés depuis le mois de novembre dernier pour demander ma réhabilitation, de la justice enfin pour tant de victimes innocentes.

Dans une de mes dernières lettres, je t’ai dit le dernier appel que je venais d’adresser au gouvernement, plus vibrant, plus énergique que jamais. J’attends donc chaque jour d’apprendre que cette réhabilitation a eu lieu, que notre supplice aussi effroyable qu’immérité a un terme, que le jour de la justice a enfin lui pour nous. Je veux donc simplement t’embrasser aujourd’hui de toutes mes forces, de tout mon cœur comme je t’aime, ainsi que nos chers et adorés enfants.

Ton dévoué,

Alfred.

Mille et mille baisers à tes chers parents, à tous nos chers parents, à tous nos chers frères et sœurs.

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