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LE CAPITAINE DREYFUS

cerveau a pu résister à un choc aussi épouvantable.

Je t’en supplie, ma chérie, n’assiste pas aux débats. Il est inutile de t’imposer encore de nouvelles souffrances, celles que tu as déjà supportées, avec une grandeur d’âme et un héroïsme dont je suis fier, sont plus que suffisantes. Réserve ta santé pour nos enfants ; nous aurons aussi besoin tous deux de nous soigner réciproquement pour oublier cette terrible épreuve, la plus terrible que les forces humaines puissent supporter.

Embrasse bien nos bons chéris pour moi, en attendant que je puisse le faire moi-même.

Affectueux souvenirs à tous.

Je t’embrasse comme je t’aime.

Ton dévoué,
Alfred.
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Mardi, 12 décembre 1894.
Ma chère Lucie,

Veux-tu être mon interprète auprès de tous les membres de nos deux familles, auprès de tous ceux qui s’intéressent à moi, pour leur dire combien j’ai été touché de leurs bonnes lettres et de leurs témoignages de sympathie.

Je ne puis leur répondre, car que leur dirai-je ? Mes souffrances ? ils peuvent les comprendre, et je n’aime pas à me plaindre. D’ailleurs mon cerveau est brisé et les idées y sont parfois confuses. Mon âme seule reste vaillante comme au premier jour, devant l’accusation épouvantable et monstrueuse qu’on m’a jetée à la face. Tout mon être se révolte encore à cette pensée.