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APPENDICE

mise en jugement et moins encore à sa condamnation, qu’il dit plusieurs fois :

— Quelle compensation vais-je demander ? Je solliciterai la croix et je donnerai ma démission. C’est ce que j’ai dit au commandant du Paty, qui l’a relaté dans son rapport au ministre. Il n’a pu relever aucune preuve contre moi, car il ne peut y en avoir, pas plus que le rapporteur qui, dans le sien, ne procède que par inductions, suppositions, sans rien préciser, ni rien affirmer.

Quelques instants avant de comparaître devant ses juges, il disait :

— J’espère bien que mon martyre va prendre fin et que je serai bientôt dans les bras des miens.

Malheureusement, il devait en être autrement. Après le verdict, Dreyfus fut ramené, vers minuit, dans sa chambre où je l’attendais. À ma vue, il s’écria : « Mon seul crime est d’être né juif ! Voilà où m’a conduit une vie de travail, de labeur. Pourquoi, mon Dieu ! suis-je entré à l’École de guerre ? Pourquoi n’ai-je pas donné ma démission tant désirée par les miens ? » Son désespoir était tel que, craignant un dénouement fatal, je dus redoubler et faire redoubler de vigilance.

Le lendemain, son défenseur vint le voir. Me Demange, en entrant dans la chambre, lui ouvrit les bras et, tout en larmes, le pressant sur sa poitrine, lui dit :

— Mon enfant, votre condamnation est la plus grande infamie du siècle !

J’en fus bouleversé.

À partir de ce jour, Dreyfus, qui était resté sans