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LE CAPITAINE DREYFUS

hier, je puis regarder le monde en face, je suis digne de commander à nos soldats.

Embrasse les chéris pour moi et affectueux baisers de ton dévoué

Alfred.
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Lundi, 18 décembre 1894.
Ma chère Lucie,

Je reçois aujourd’hui seulement ta bonne lettre de samedi. De même, je n’ai pu t’écrire hier dimanche, car les bureaux étaient fermés et ma lettre n’aurait pu passer.

Comme tu dois souffrir, ma pauvre chérie ! Je me l’imagine en comparant ta souffrance à celle que j’éprouve moi-même de ne pouvoir te voir. Mais il faut savoir se raidir contre la douleur, se résigner et conserver toute sa dignité.

Montrons que nous sommes dignes l’un de l’autre, que les épreuves, même les plus cruelles, même les plus imméritées, ne sauraient nous abattre.

Quand on a la conscience pour soi, on peut, comme tu le dis si justement, tout supporter, tout souffrir. C’est ma conscience seule qui m’a permis de résister ; autrement je serais mort de douleur ou, du moins, dans un cabanon de fous.

Je ne puis moi-même me rappeler encore les premiers jours sans un frisson d’épouvante ; mon cerveau était comme une chaudière bouillante ; à chaque instant je craignais qu’il ne m’échappât.

Ne t’inquiète pas de l’irrégularité de mes lettres ; tu sais que je ne puis t’écrire à ma guise. Sois donc forte et courageuse ; soigne bien ta santé.