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LETTRES D’UN INNOCENT


Marchez sans faiblir dans la voie que vous vous êtes tracée, comme moi je suivrai sans défaillir mon chemin douloureux.

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Le 16 Janvier 1895.
(Mercredi, 10 heures du matin).
Ma chérie,

Je suis arrivé à dompter mes nerfs, à faire taire les mouvements tumultueux de mon âme…, cela ne sert à rien d’ailleurs de s’impatienter, puisque je suis décidé à vivre pour voir éclater mon innocence.

Je sais qu’il faut pour cela du temps, même beaucoup de temps… ; j’attendrai donc comme je te l’ai promis, avec calme et avec dignité, que la vérité se fasse jour ; ma conscience me donnera les forces nécessaires.

Je préparerai mon âme à supporter sans se plaindre le calvaire qui m’attend encore, j’étoufferai les sanglots de mon cœur ulcéré.

J’ai perdu hier pendant quelques instants le sentiment de moi-même ; pense que voilà trois mois que je suis enfermé dans une chambre, en proie aux tortures morales les plus épouvantables que l’on puisse infliger à un homme de cœur ; mais d’un effort violent de tout mon être, je me suis ressaisi.

Ce sont mes nerfs surtout qui sont malades ; mon énergie morale est telle qu’au premier jour.

Mais vous êtes tous unis de volonté, d’intelligence et de dévouement ; j’ai donc la conviction que la lumière se fera tôt ou tard. Je ne démentirai pas vos efforts.

Ne parlons plus de cela.