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LETTRES D’UN INNOCENT

dans une honnête famille, en voilà un qui ne méritera aucune pitié ! Son crime est tellement épouvantable, que la raison se refuse à comprendre tant d’infamie unie à tant de lâcheté. Il me semble impossible qu’une pareille machination ne se découvre tôt ou tard ; un crime pareil ne peut rester impuni.

Cette nuit, à un moment, la réalité m’est apparue comme un songe horrible, étrange, surnaturel… dont j’ai voulu me réveiller, dont j’ai voulu sortir… Mais, hélas, ce n’était pas un songe ! Je voulais échapper à cet horrible cauchemar, me retrouver dans la réalité, telle du moins qu’elle devrait être, c’est-à-dire entre vous tous, dans tes bras, ma chérie, près de mes chers enfants.

Ah ! quand ce jour béni arrivera-t-il ? N’épargnez, pour cela, ni vos peines, ni vos efforts, ni l’argent. Que je sois ruiné, cela m’est égal, mais je veux mon honneur, c’est pour lui que je supporte ces effroyables tortures.

Tu me demandes comment je supporte mon supplice ? Hélas, comme je le peux. J’ai parfois des moments d’abattement terribles, pendant lesquels il me semble que la mort serait mille fois préférable à la torture morale que j’endure, mais par un effort violent de volonté, je me ressaisis. Que veux-tu, il faut bien parfois se laisser aller à la douleur, on la supporte ensuite avec d’autant plus de fermeté.

Enfin, espérons que cet horrible calvaire aura une fin, c’est la seule raison de vivre, c’est là mon unique espoir.

Les journées et les nuits sont longues, mon cerveau est constamment à la recherche de cette énigme épouvantable qu’il ne peut déchiffrer. Ah ! que je