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C’est ainsi que l’Orient, sur lequel était monté Jean Tapin avec six cents hommes de la 9e demi-brigade, était un des plus beaux vaisseaux de l’époque, avec ses cent vingt canons formant trois batteries superposées.

Les soldats avaient été répartis partout, sur les gaillards d’avant, dans les faux-ponts, les batteries et jusque dans la cale ; leur installation était très primitive, car on n’avait pu leur donner le hamac qui est, vous le savez, le lit du marin. Ils devaient se contenter de leur havresac pour oreiller et d’une couverture de campement. Mais tous les soldats, choisis pour faire partie de cette mémorable expédition, avaient parcouru les dures étapes des trois dernières campagnes et ne se plaignaient pas pour si peu.

Ce qui leur était le plus pénible, c’était le mal de mer, ce vilain mal que je ne vous souhaite pas de connaître, car, s’il n’est pas dangereux et si on en guérit aussitôt qu’on a remis le pied sur le « plancher des vaches », il est des plus désagréables et annihile toutes les facultés.

Notre pauvre Tapin fit sa connaissance à quelques lieues à peine des côtes, lorsque les courtes lames azurées du golfe du Lion firent danser l’Orient comme une simple coquille de noix.

Aussi, lorsqu’arriva l’heure du rendez-vous, notre petit camarade était dans un pitoyable état, et il lui fallut un effort héroïque pour monter de la batterie basse, où était sa compagnie, jusqu’au pied du mât de misaine avec ses deux témoins.

Cancalot d’ailleurs ne valait guère mieux que lui ; seul Michu, paysan difficile à émouvoir, tenait bon.

Le timonier avait bien choisi l’endroit à cette heure : soldats et marins, réunis dans les batteries, autour de vastes gamelles, prenaient leur repas du soir et personne ne devait déranger les combattants.

Un des matelots qui accompagnaient le timonier sourit en voyant la figure livide de Jean Tapin et les gouttes de sueur qui perlaient à son front. Il lui tendit d’un air goguenard un sabre court, à lame légèrement recourbée, dont le tranchant scintillait, merveilleusement affilé.

C’était un sabre d’abordage. Une grosse coquille d’acier, recouvrant la poignée dans le but de préserver la main, donnait à cette arme un aspect caractéristique.

Notre petit ami avait bien mal au cœur, mais il remarqua le regard moqueur du marin qui lui tendait l’arme, et soudain, réagissant avec violence