Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

je le prends avec moi. Incorpore-le à ma demi-brigade, la neuvième, en formation aux Minimes.

À cette époque héroïque, on n’avait pas coutume de s’étonner pour si peu ! Le commissaire sourit ; il eut une courte hésitation.

« Parfait ! citoyen Bernadieu, dit-il ensuite ; quel est le nom de ton conscrit ? »

Rouge de plaisir, l’enfant répondit tout d’une haleine :

« Jean Cardignac, âgé de douze ans, apprenti luthier, né à Versailles, orphelin. »

Le commissaire ajouta cette mention : « Sous la sauvegarde du citoyen colonel Bernadieu. »

« Maintenant, mets ici une croix, » dit le commissaire enrôleur.

Mais le gamin avait déjà saisi la plume :

« Oh ! citoyen, je sais écrire, » dit-il avec une légitime fierté.

Et carrément il signa son nom.

« Ah ! ça, c’est très bien, » fit le colonel, qui contresigna. Puis, remettant à l’enfant le papier sur lequel il avait écrit tout à l’heure :

« Garçon, dit-il, tu sais où est l’Arsenal ?

— Oh ! je connais Paris.

— Bon ! Tu vas, de ce pas, te rendre à la caserne des Minimes ; tu demanderas le tambour-maître Belle-Rose dit Marcellus, et tu lui remettras ce papier.

— Bien, colonel.

— C’est tout pour l’instant. Je te verrai tantôt. »

L’officier prit Jean sous les bras, l’embrassa sur les deux joues ; puis, comme l’escalier de l’estrade était toujours encombré, il souleva l’enfant comme une plume, le passa par-dessus la balustrade, et s’adressant à un homme du peuple qui se trouvait au-dessous de lui :

« Citoyen, dit-il, empoigne-moi ce petit soldat-là ! »

Un instant plus tard, Jean — fier comme Artaban — fendait la foule, et, en proie à une joie indéfinissable, se dirigeait en courant vers la caserne.