Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/251

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mant une mine dans la grande tour de Saint-Jean-d’Acre. Son récit plongea Haradec dans un étonnement admiratif.

Toute la nuit les deux amis causèrent à voix basse, et lorsque, tombant de fatigue, ils s’étendirent l’un près de l’autre pour dormir, le jour filtrait à travers les écoutilles et la diane sonnait à bord. Un appel brutal les fit monter sur le pont, et pendant toute la journée ils n’eurent pas un instant de répit.

Quand le soir revint, le premier mot de Jean fut celui-ci : « Il faut essayer de nous sauver : comment, toi, n’as-tu pas déjà essayé ? Mais Haradec secoua la tête :

— J’ai cru la chose possible, moi aussi, dit-il : j’ai essayé deux fois en me jetant à l’eau : c’était à Smyrne et à Naples. Je n’y ai gagné que deux mois de fers, au biscuit et à l’eau, car j’ai été repêché par les autorités anglaises ou turques, en abordant. Il faudrait, pour réussir, aborder dans un port espagnol, un port ami. À la prochaine occasion, si tu veux nous recommencerons : à deux on a plus de chances.

— Hélas ! fit Jean tout songeur, je ne sais pas nager. »

Comme il regretta alors de n’avoir pas appris ! Déjà, au siège de Mayence, il n’avait pu suivre Belle-Rose et La Ramée dans le Rhin, quand ils avaient amarré un ponton autrichien et fait prisonniers les artilleurs ennemis. Ce jour-là il s’était bien promis d’apprendre pourtant…

Ils passèrent en revue tous les moyens, mais la surveillance était excessive : jamais les prisonniers ne quittaient le bord et les jours commencèrent à se suivre, monotones et terriblement durs pour Jean Tapin.

Ils étaient seuls prisonniers à bord du Tiger et toutes les corvées qui rebutaient l’équipage leur revenaient de droit.

Et cette vie atroce allait durer près de trois années…

Ah ! mes enfants, bien souvent Jean Tapin pleura et se désespéra ; ils étaient loin ses rêves de jeune gloire ! Mais ce qui le torturait le plus, c’était la pensée que Catherine et Lison, que Belle-Rose et tous ses amis le croyaient mort. Assurément, après l’explosion de la tour, tout le monde avait dû le supposer perdu, et si jamais la Neuvième rentrait en France, le tambour-maître confirmerait sa mort aux deux pauvres femmes en leur racontant son dernier exploit.

Il ne fallait pas plus songer à leur donner des nouvelles par lettre qu’à s’enfuir. La poste existait bien en France, d’ailleurs très rudimentaire ; mais