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velle. Le commodore anglais, qui avait fait échouer Bonaparte devant Saint-Jean-d’Acre, avait bien espéré l’enfermer pour longtemps en Égypte, et sa rage fut extrême en apprenant que les croisières anglaises l’avaient laissé passer.

Il eut été bien plus irrité encore s’il eût pu prévoir quel avenir attendait le jeune général, et quel rôle il allait jouer en Europe.

Deux mois après, Haradec apprenait à Jean ce qu’il venait de surprendre de la conversation de deux officiers du Tiger.

Le général Bonaparte avait renversé le Directoire et pris le pouvoir avec le titre de premier consul.

« Ah ! dit Jean tristement,… quel dommage que nous ne puissions rentrer en France, je lui reporterais sa tabatière et il me nommerait sous-lieutenant tout de suite. »

Car il avait pu conserver le précieux souvenir, grâce à la ceinture qu’il avait sur la peau et qui ne lui avait pas été enlevée.

Il vous intéresserait peu, mes enfants, de connaître l’énumération de toutes les villes et de tous les rivages où aborda Jean Tapin pendant sa captivité. Qu’il me suffise de vous dire que, si les voyages forment la jeunesse, comme on le dit, Jean, dont la jeunesse avait déjà été si accidentée pourtant, compléta, à cette dure école d’une longue croisière sur mer, ses connaissances en géographie.

Souvent, il s’absorba sur une grande carte de l’Europe qui se trouvait dans le carré des Cadets, — ainsi appelle-t-on en Angleterre, les aspirants de marine, — lorsque le matin, de bonne heure, il en frottait les panneaux et les hublots, et bientôt, avec l’aide d’Haradec, il connut à fond les principales puissances de l’Europe et surtout la Méditerranée.

Constantinople, où Sidney Smith intriguait contre la France, et Naples, où l’escadre de Nelson stationna longtemps, pour défendre la cour de la reine Caroline[1], furent les deux villes où il séjourna le plus longtemps ; mais jamais les vaisseaux n’abordèrent à quai, et jamais l’occasion de s’évader, à laquelle Jean ne cessait de penser jour et nuit, ne s’offrit.

L’année 1800 se passa, et, en juillet, arrivèrent, à bord du Tiger croisant

  1. Il y a eu deux reines de Naples du nom de Caroline : L’une, fille de Marie-Thérèse d’Autriche, femme de Ferdinand IV, roi de Naples ; l’autre, Caroline Bonaparte, femme de Murat, fait roi de Naples par Napoléon. C’est de la première, cela va sans dire, qu’il est question ici.