Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/26

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marchand qui l’avait recueilli ; il aimait bien surtout maîtresse Sansonneau qui souvent le gâtait en cachette et, chose précieuse aux yeux du gamin, l’embrassait même de temps en temps.

Mais Jean réfléchit et murmura :

« Je suis soldat, maintenant !… Et à la 9e demi-brigade, encore !… J’ai signé ; le colonel Bernadieu m’a engagé et m’a dit d’aller à la caserne. Il faut que j’y aille. Je demanderai qu’on prévienne maître Sansonneau…

Tranquillisé par ce soliloque, l’enfant reprit son chemin plus posément ; et bientôt, il aperçut avec une émotion très particulière — faite à la fois de désir et d’appréhension — la caserne des Minimes, dont les hautes murailles grises se profilaient à deux cents pas de lui. Jean s’arrêta encore, presque craintif, considérant ces murs, comme si au travers il eût pu distinguer ce qu’ils renfermaient, le régiment auquel il venait d’être incorporé de façon si brusque et si singulière ; puis, il se rapprocha à tout petits pas.

À l’entrée, un soldat maigre comme un clou, sec comme un hareng saur, se promenait gravement, l’arme au bras, devant une guérite ; et l’enfant admira son air martial.

C’était, en effet, un vieux soldat. Dans sa face couleur brique, deux petits yeux vifs scintillaient, sous des sourcils très bruns qui avançaient en touffes sur les paupières ; deux moustaches grisonnantes, très longues, tombaient des deux côtés du menton ; et, sous son grand chapeau, posé de travers sur la perruque filasse, il avait une tête rébarbative qui impressionna l’enfant.

Mais, soudain, le factionnaire s’arrêta : un hussard à la pelisse rouge, en culotte verte, coiffé d’un haut talpack d’où pendait une flamme rouge, arrivait au grand trot, engoncé dans sa selle en peau de mouton, un sac de cuir en sautoir. Il ralentit son cheval, demanda un renseignement à la sentinelle, et pénétra au pas dans la caserne, se dirigeant vers un bâtiment que le soldat lui indiqua.

Jean Cardignac suivit le hussard. Mais, d’un geste brusque, le soldat en faction avait saisi son fusil ; et, barrant l’entrée :

«  Au large, garçon ! dit-il d’une voix rude.

— Pardon, protesta Jean… mais je…

Il n’y a pas de « mais »… au large !

Puisque je suis engagé à la 9e demi-brigade ! » s’écria l’enfant, convaincu que cette déclaration allait suffire.