Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/304

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— Mes enfants… la paix est rompue ! Jean, les yeux brillants, s’était levé, et jetant sa serviette :

— Vraiment, père ? questionna-t-il.

— Oui, mon enfant, reprit tristement Catherine ; la paix d’Amiens est définitivement rompue.

Il y eut un silence.

Puis Jean, se penchant vers sa femme, l’embrassa.

— Cela t’attriste, ma Lisette ?

— Oh ! oui ! car… tu vas me quitter…

— Oui !… sans doute ! Mais enfin, c’est la vie du soldat, ma Lise aimée… Et puis, n’es-tu pas fière de penser que je te reviendrai avec un grade de plus et de la gloire !

Pensive, elle dit après un instant :

— Oui ! mon Jean, oui !… Quand on est la femme d’un brave, on doit être brave soi-même… Mais n’importe ! j’ai peur pour toi. De la gloire, dis-tu, n’en as-tu pas assez ?

— On n’en a jamais trop, s’écria Jean avec feu ; puis, la serrant doucement contre lui :

— Chasse ces pensées, ma Lise ! dit-il avec une infinie tendresse ; je te reviendrai, sois-en sûre : j’en ai vu bien d’autres, et je suis cuirassé contre le danger.

Cet enthousiasme exubérant ramena le sourire sur les lèvres de Lise et de Catherine ; mais au fond, elles avaient le cœur serré.

Du reste, au bout de quelques jours, elles se rassurèrent.

Contrairement aux prévisions, la guerre ne commença pas dès la rupture avec l’Angleterre, et aucun ordre de marche n’arriva à la caserne de Courbevoie.

Les soldats s’impatientaient.

— Pour qui nous prend-il, le Petit Caporal ? disaient-ils. Est-ce que nous sommes des Invalides pour qu’il nous laisse ici, quand les trois quarts des régiments de lignes sont déjà là-bas avec lui !

« Il se moque de ses grenadiers, le Petit Caporal ! »

Non, Bonaparte ne négligeait pas sa Garde ! Il savait bien, au contraire, qu’il avait là une valeur inouïe en réserve, et il comptait l’employer en son temps.