Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/38

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demain, rue de la Huchette pour lui faire tes adieux… Tu feras porter la lettre, Belle-Rose.

— Bien, citoyen colonel.

C’est ainsi que le lendemain, vêtu de son uniforme, Jean Tapin se rendit avec le colonel Bernadieu chez maître Sansonneau.

Il était ma foi très mignon dans sa tenue, que la cantinière avait fort bien arrangée à sa taille,

Seul, le grand chapeau à cocarde et à plumet de crin rouge était un peu grand ; mais, grâce à la perruque blanche, il le coiffait bien tout de même. Et Jean, très crâne, pas gêné le moins du monde, fit l’admiration des passants.

— Seigneur ! s’écria la brave mère Sansonneau en le voyant ainsi habillé ; mais vous n’y pensez pas, colonel ! Il va se faire tuer, ce pauvre enfant.

— Mais non, citoyenne ; et j’ai dans l’idée qu’il fera plus tard un excellent soldat.

— C’est égal ! reprit le gros marchand d’épices ; ça n’est pas de son âge : il aurait mieux fait de rester ici et de fabriquer proprement ses chandelles.

— Dame ! Maître Sansonneau, ça ne lui disait rien ; il aime mieux battre la charge contre les Kaiserlicks.

— Oh ! oui, dit Jean dans un aveu spontané.

Mais il se reprit :

— Ça n’empêche que j’aime bien maîtresse Sansonneau et vous aussi, patron, et que je reviendrai vous voir après la guerre.

— Et vous le verrez peut-être un jour officier, conclut le colonel Bernadieu.

— Oh ! Oh ! fit maître Sansonneau d’un air de doute.

— Eh ! pourquoi pas ? Moi qui vous parle, je suis orphelin comme lui ; racolé pour les gardes françaises j’ai appris tout seul à lire ; je me suis instruit moi-même, et j’étais sergent lors de la dislocation du régiment. Sous l’ancien régime, je serais resté sergent, c’est sûr ; mais maintenant la route est libre : mes anciens camarades, qui forment le noyau de la 9e demi-brigade, m’ont choisi pour les commander. Rien n’est impossible à qui a du cœur, de l’énergie, de l’intelligence et de l’instruction. Ce gamin a tout ce qu’il faut pour arriver… Vous verrez, vous verrez !…