Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/382

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sang. Notre camarade en avait le visage couvert ce qui fit croire au prince Eugène qu’il était blessé.

Mais non ! Tapin était sain et sauf. Seulement, au moment où il finissait de transmettre l’ordre, un nouveau boulet, passant sous sa monture, coupa les jambes de son cheval qui s’abattit en soufflant.

Jean se redressa ; d’un coup de pistolet, il tua le pauvre animal pour l’empêcher de souffrir, et suivit au pas de course l’infanterie qui déjà s’ébranlait.

— Mon commandant !… Mon commandant ! prenez mon cheval !

Cet appel lui fit tourner la tête, et alors seulement, Jean Cardignac s’aperçut que Grimbalet l’avait suivi. Déjà, il s’apprêtait à monter le cheval de son ordonnance, lorsqu’une balle renversa sa nouvelle monture.

— Au diable ! s’écria-t-il. Suivons à pied.

Tous deux s’élancèrent sur les traces du prince Eugène qui, l’épée haute, entraînait son monde. Et dans l’emballement de l’assaut, Grimbalet s’écria :

— Oh ! c’te rencontre ! C’est le 9e qui charge ! En avant, mon commandant, c’est not’régiment ! Vive l’Empereur !

C’était en effet le 9e de ligne.

Dans un essoufflement farouche, les soldats grimpaient la pente abrupte. Les tambours ronflaient. Les officiers, bicorne en l’air, criaient les commandements. Et, au milieu de tout ce vacarme, Grimbalet lançait des bonjours à ses connaissances :

— Eh ! bon Dieu ! c’est le sergent Sidot de la 8e ! Chouette ! mon vieux ! Bonjour, caporal Fambise !… Salut Chapotot, mon vieux camarade de lit !… Oh ! Oh ! v’la Cazabat ! Comment qu’on va à Marseille, Marius ! té !

Mais personne n’y faisait attention, car les balles sifflaient, les hommes s’abattaient, la batterie des tambours s’assourdissait… puis soudain cessa : le dernier tapin venait d’être tué !


— Tonnerre ! hurla un sergent. Plus de peau d’âne à la clef ! C’est embêtant de danser sans musique !

Mais tout à coup, la charge reprit, bien rythmée, cadencée, énergique. Et Grimbalet poussa un « Vive le commandant ! » en voyant que c’était son chef, Jean Tapin, qui avait saisi le tambour d’un mort, s’était passé le baudrier à l’épaule et battait la charge devant la ligne des baïonnettes.