Le vieux moujik parlait d’abondance, et sa voix au timbre guttural s’adoucissait étrangement, prenait des intonations presque enfantines.
Jean, les yeux clos, se remettait peu à peu.
Il étendit la main, rencontra celle de Fédor, la serra ; et tout en la conservant dans la sienne :
— Continue, murmura-t-il ; raconte ce que tu sais… et merci !
— Non ! ne dis pas merci, petit père !… Le pope de notre village nous dit que le bon Dieu veut qu’on rende le bien pour le mal… par conséquent, l’homme juste doit, à plus forte raison, rendre le bien pour les bienfaits reçus. Tu nous as sauvés… ton empereur, le grand Napoléon a été bon pour nous… Nous devons te le rendre.
— Merci ! merci !
Le petit Yvan, grimpé sur un escabeau, s’était accoudé à la plate-forme du poêle et contemplait de ses yeux bleus, le visage du Français qui avait sauvé sa mère et son grand-père.
Il ne disait rien, le petit Yvan, mais son regard était chargé de reconnaissance.
— Eh bien, petit père, continua Moïloff, pendant que Féodora surveillait le samovar qui chantait, je t’ai trouvé comme je revenais de la ville dans mon traîneau. J’étais allé chercher un tonnelet de sel et je rentrais grand train, car il faisait un froid terrible… toute ma barbe était comme celle du bonhomme Hiver, entièrement en glaçons.
J’arrivais au tournant de la sapinière quand je vis, à une verste environ, un groupe de Cosaques de Platow qui avaient l’air de se disputer. Les Cosaques, vois-tu, petit père, je ne les aime pas… J’en ai peur ! car ils sont comme les corbeaux, ils pillent !… Beaucoup d’entre eux viennent de loin, jusque de là-bas, en Asie… ce sont des infidèles qui ne croient pas en Dieu, et j’en ai peur !
Alors, j’ai garé mon traîneau dans le bois et j’ai attendu.
Malgré la brume qui tombait, j’ai bien vu que les Cosaques se disputaient la dépouille d’un Français, d’un chef étendu à terre ; ils lui avaient enlevé presque tous ses vêtements, et l’un d’eux avait pris sa montre en or et voulait la garder. Il en est résulté une bataille, et bientôt, sur les cinq Cosaques, il n’en restait plus que deux qui se sont partagé le butin, puis ils sont partis à fond de train.
Les petits chevaux des trois morts sont restés là, serrés l’un contre l’autre,