Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

de l’Empereur une requête demandant des nouvelles de son mari ; elle n’avait reçu pour réponse qu’un bordereau signé du chef d’État-Major, prince de Neufchâtel, et portant, à côté du nom de Jean Cardignac, ces mots :

« Disparu du 9 au 13 décembre, entre Wilna et le Niémen. »

— Disparu, avait dit Belle-Rose ; faut pas te démonter, Lise. Combien que j’en ai vu des « disparus » qui repiquaient à la soupe au bout de quinze jours, dont auxquels on leur faisait place bien volontiers. Il sera resté en arrière avec son cheval déferré ; prisonnier peut-être… Les bureaux de la guerre, ça n’est pas tendre, ma pauvre Lise ; et que s’il était mort, vois-tu, ils te l’auraient dit carrément !

La jeune femme s’était raccrochée à cet espoir et, pendant les mois de janvier et février, elle avait attendu, anxieuse, angoissée, multipliant ses démarches, n’apprenant rien, sentant son espoir faiblir et son cœur s’émietter.

Maintenant, La Ramée ne l’abordait plus qu’avec un haussement d’épaules douloureux ; de son côté, Belle-Rose n’était plus aussi affirmatif ; on sentait qu’il s’efforçait de se rassurer lui-même lorsque, tapant sur la table, il s’écriait :

— Après être revenu de si loin pendant vingt ans de guerre, il aurait été se faire démolir par de la gelée, voyons, mes enfants, c’est pas croyable !

L’Empereur était arrivé à Paris dans le milieu de décembre et sa présence avait retrempé tous les cœurs ; l’enthousiasme avait grandi comme aux premiers jours de la Révolution et, bientôt, toutes les forces vives de la Nation avaient été mobilisées pour refaire une armée française.

Mais, je vous l’ai déjà dit, mes enfants : on n’improvise pas une armée ; à la rigueur, on peut faire un fantassin passable en quelques mois, mais il n’en est pas de même d’un cavalier et surtout d’un artilleur.

Pourtant le génie de l’Empereur sut trouver des ressources alors qu’on pouvait les croire épuisées : des arsenaux de Metz, de Strasbourg, d’Alexandrie[1], d’Anvers, il tira des canons ; de l’artillerie de marine, inutile à bord des escadres, il tira des pointeurs.

Vingt-cinq mille cavaliers étaient restés sous la neige : il fit revenir d’Espagne tout ce qui restait de cavalerie et reforma d’abord la cavalerie de la Garde ; puis on vit des cités, des corporations, le Sénat, les Conseils d’État,

  1. En Italie.