Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/402

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quetés, noircis à Wagram, attiraient tous les regards ; à leur gauche, s’alignaient les gardes d’honneur, régiments nouveaux formés de jeunes gens appartenant aux meilleures familles de France, et qui devaient, pendant la campagne de 1814, combattre à l’égal des héros de la Grande Armée.

Soudain, une batterie de tambours se fit entendre au guichet du Pont-Royal, et on vit déboucher dans la cour des Tuileries un régiment de petits fantassins, dont le plus âgé comptait à peine quinze ans.

C’était le Régiment des Pupilles de la Garde, créé par l’Empereur pour servir de garde au petit roi de Rome. À leur aplomb, à leur air martial, on eut pu les prendre pour de vieilles troupes, tant il y avait de régularité dans leurs mouvements et d’ensemble dans leur marche.

D’abord, les précédant, c’était un peloton de sapeurs, petits blondins en bonnet à poil dont le menton juvénile et la mine espiègle contrastaient singulièrement avec l’air terrible qu’ils essayaient de se donner ; puis un tambour-major, de cinq pieds deux pouces de haut, qui, lorsqu’il vint à passer devant ses collègues de la vieille garde, véritables colosses, fit tournoyer sa canne au-dessus de sa tête avec une rapidité extraordinaire, comme pour leur porter un défi d’adresse. Il était suivi de ses tambours. La musique venait ensuite, mais elle était veuve de sa grosse caisse et de ses deux chapeaux chinois, parce qu’aucun des bambins présents n’eût eu la force de porter ces lourds instruments ; elle exécutait une marche faite tout exprès pour le corps des Pupilles : La Favorite.

Et quand elle passa devant la tribune impériale, Jean, transporté, se leva debout sur son banc et se mit à trépigner de joie.

— Veux-tu t’asseoir, Jeannot ! fit tout bas Lisette.

Mais à peine l’avait-elle fait taire, qu’Henri se leva à son tour et se mit à crier : « Vive l’Empereur ! »

Napoléon venait en effet d’apparaître sur son cheval Marengo, et les tambours battaient aux champs.

Il alla droit aux Pupilles qui avaient ouvert leurs rangs et commença son inspection.

Tout à coup, prenant un petit caporal par l’oreille, il l’amena doucement à lui :

— Quel âge avez-vous, monsieur le blondin ? lui demanda-t-il d’un ton presque sévère.