Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/46

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— Quelles nouvelles ? lui cria le colonel.

Sans arrêter le galop de son cheval, le cavalier lança ces mots :

— Verdun est pris ! Les Prussiens y sont depuis hier !

Bernadieu pâlit. Il se mordit les lèvres et murmura :

— Tonnerre ! C’est la porte ouverte à l’invasion…

Et, le ton bref, avec une émotion dans la voix :

— Fabricius ! dit-il à un sergent qui se trouvait auprès de lui, va de suite dire au commandant Dorval qu’il me remplace et préside à la distribution des effets… Si on a besoin de moi, je suis chez le général.

Il s’éloigna en courant.

Une heure plus tard, il revenait ; un pli de réflexion barrait son front. Le colonel alla jusqu’au piquet de garde.

— Sergent ! ordonna-t-il, envoyez prévenir tous les officiers que je les attends ici.

Il désignait du doigt une auberge située sur le bord de la route, à quelques pas.

Puis, appelant :

— Tambour de garde !

Jean Tapin parut.

— Ah ! c’est toi… Bats le rappel… Nous partons dans une heure.

Pendant que le camp, soudain mis en rumeur à l’appel du tambour, se livrait avec fièvre aux préparatifs d’un départ précipité, le colonel Bernadieu se dirigea vers l’auberge.

Devant la porte se trouvait une table et des bancs en bois. L’officier s’assit, et, tirant une carte du revers de son habit, il la déplia ; puis, penché, il se mit à l’examiner avec une attention profonde, suivant du doigt les détails topographiques.

On n’avait pas à cette époque les belles cartes que possèdent aujourd’hui tous les officiers, soit en temps de paix, soit en campagne. — La carte de Cassini remplaçait pour nos ancêtres du siècle dernier la merveilleuse carte au 1/80000e qu’a exécutée l’état-major français. Les plans d’alors étaient grossiers, incomplets, très clairs cependant ; celui que le colonel Bernadieu venait de déplier devant lui représentait, par des multitudes de petits arbres, la profonde forêt de l’Argonne, avec les quelques routes qui la traversaient alors. Les villages étaient figurés par de petits clochers, les hameaux par