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volontaires commandés par les généraux Biron et Dillon l’avaient bien prouvé au mois d’avril de cette même année 1792, les premiers en se débandant en Belgique, sans avoir vu l’ennemi, les seconds en massacrant leur général.

Mais dans les circonstances critiques où se trouvait la patrie, l’enthousiasme devait tenir lieu de discipline, et le colonel Bernadieu se garda bien d’imposer silence à ses soldats, quoique le tumulte ainsi provoqué l’empêchât de parler.

Il savait que le Français a besoin de s’épancher en manifestations bruyantes, qu’il éprouve le besoin de crier à certaines heures, quitte à se battre ensuite comme un enragé, et, tranquillement, il laissa passer la houle d’imprécations à l’adresse de Brunswick, d’acclamations à l’adresse de Dumouriez.

Le commandant de Lideuil au contraire, qui commandait le 2e bataillon, regardait avec un pli de dédain sur les lèvres cette forêt de baïonnettes et de chapeaux, agitée par le vent de l’enthousiasme.

C’était, lui aussi, un vieil officier blanchi sous le harnais, car il avait fait la guerre de Sept Ans sous Louis XV, il avait vu Rosbach trente-cinq ans auparavant, et avait une haute idée de la tactique prussienne. Mais il aimait son pays par-dessus tout, et n’avait pu se décider à suivre les Français égarés, qui, pour défendre la couronne du roi Louis XVI, avaient émigré dans le camp autrichien.

Les volontaires l’estimaient sans l’aimer, et lui les aimait sans les estimer, du moins en tant que soldats.

« Jamais nous ne battrons les Prussiens avec de pareilles troupes, avait-il dit maintes fois au colonel Bernadieu.

— Vous verrez cela, avait répondu le jeune commandant de la 9e demi-brigade.

— Je n’ai pas confiance…

— Ne dites jamais cela tout haut : c’est avec la confiance, et avec elle seulement, que nous pouvons espérer nous faire suivre de tous ces braves gens-là.

— Il me restera toujours la ressource de me faire tuer à leur tête, citoyen colonel, et, l’occasion venue, je n’y manquerai pas. »

On conçoit facilement que, dans ces dispositions d’esprit, le commandant de Lideuil mâchonnât furieusement sa moustache blanche en voyant la conférence interrompue.