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à travers la fumée, la vision rapide de la voiture de dame Catherine, là-bas, en arrière, à deux cents mètres.

Et il eut peur, pour elle et pour Lison.

— Pourvu qu’une balle n’aille pas les tuer ! pensa-t-il.

Aussi, tout en avançant, car les Français avançaient maintenant, avec lenteur, c’est vrai, mais sans arrêt, le petit tambour tournait souvent la tête, pour regarder cette charrette qui renfermait deux de ses plus chères affections.

La petite voiture était abritée par un groupe de gros chênes, dont Carabi, indifférent, broutait les branches basses.

À l’ouverture de la bâche, apparaissait la cantinière immobile, calme et grave. Mais Jean ne vit pas Lison. Sans doute elle était cachée dans la voiture.

Au bout de quelques instants, comme on avançait encore en contournant un épais bouquet d’arbustes, Jean perdit de vue la voiture ; et, à cet instant, une nouvelle volée de balles passa.

L’enfant qui, aux premiers sifflements entendus, n’avait pas bronché et ne s’était rendu compte du passage de la mort que par la chute du tambour, savait maintenant à quoi s’en tenir.

Instinctivement, il courba la tête et rentra le cou dans les épaules.

Mais Belle-Rose l’avait aperçu :

— Qu’est-ce que c’est ? s’écria le géant. Voilà qu’on salue les balles à présent : Pas d’ça à la neuvième, bornebleu ! T’as pas besoin de les regarder. Tu n’as aucun moyen superlatif de les voir. Et quant au reste, qu’elles ont pas la politesse de prévenir, les coquines ! Que si on les entend, c’est qu’elles ne vous touchent pas… T’as compris ?… Et haut la tête, bornebleu !

— Oui, citoyen Belle-Rose.

— À la bonne heure !

À partir de cette paternelle semonce, Jean Cardignac dompta, tout enfant qu’il fût, la peur instinctive des balles ; et, au lieu de les « saluer », il mit à se redresser, lorsqu’elles sifflèrent de nouveau, tout ce qu’il avait de volonté dans l’âme.

On entrait du reste en pleine tourmente. Le bois traversé, une vaste prairie s’ouvrit devant la ligne des tirailleurs, qui s’étendait à droite et à