Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/85

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des actions héroïques, ayant le sang plus chaud, le tempérament plus généreux, de même qu’il s’en trouve de pusillanimes, par faiblesse de cœur ou de constitution.

Mais que ceux d’entre vous qui ont encore une réputation de peureux ne se croient pas voués à la peur pour le restant de leur vie, car sachez que ce qui fait le courage, le vrai courage, celui qui ne procède pas d’un coup de tête ou qui ne puise pas sa spontanéité dans un verre d’alcool, c’est la volonté. Avec la volonté, on dompte la terreur physique et la crainte de la mort ; et il faut graver dans votre mémoire le mot célèbre de Turenne, lorsque, se sentant envahir par la peur, au moment de l’attaque des positions de Nordlingen, il prit la tête de la colonne d’assaut en se disant à mi-voix :

— Tremble, vieille carcasse ! Tu tremblerais bien plus encore si tu savais où je veux te conduire !…

Soudain l’attention de Jean fut attirée par un appel plus déchirant que les autres ; dans un coin de la cour, un jeune officier des hussards autrichiens semblait lui faire signe, et, reprenant bravement sa cruche d’eau, Jean s’approcha.

Mais le blessé ne demandait pas à boire : il n’en avait plus besoin, il prit la main de l’enfant, fixa sur lui des yeux suppliants et qui semblaient déjà chavirer dans le néant ; puis, détachant de ses lèvres une miniature entourée d’un cercle de bronze finement ciselé, il la lui tendit comme si cette figure d’enfant lui fut apparue à sa dernière heure pour lui rappeler une douce vision. Les mains crispées, il essaya de se soulever pour dire quelques mots et retomba les lèvres entr’ouvertes, ayant pu prononcer cette seule parole : « Saalfeld !… »

Il était mort, et Jean comprit qu’il venait de nommer son pays et qu’il avait voulu lui remettre la relique sur laquelle s’appuyaient tout à l’heure ses lèvres décolorées. Le petit tambour prit doucement le médaillon qui représentait une jeune fille blonde, aux boucles retombant sur les épaules, avec un collier de perles autour du cou ; il vit derrière le cadre quelques lignes en allemand qu’il ne comprit pas et mit l’objet dans sa poche.

« Je donnerai cela au colonel Bernadieu, se dit-il ; il sait l’allemand et pourra peut-être faire renvoyer ce médaillon à la famille de ce malheureux. »

Puis il grava dans sa mémoire le nom qu’il venait d’entendre :

« Saalfeld, Saalfeld, » répéta-t-il.