Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/98

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« Saalfeld, s’écria-t-il, mais c’est en Thuringe, en plein pays prussien ! »

Et, de suite, il alla trouver l’adjudant général Thouvenot, pour lui faire part de cet indice.

« Chazot ne se trompait donc pas, dit le chef d’état-major : il a eu devant lui, non seulement les Autrichiens de Clerfayt, mais encore les Prussiens de Kalkreuth. »

Et, ce jour-là, Jean Cardignac put se convaincre que les connaissances géographiques ont une importance capitale à la guerre, puisque, d’un simple nom de ville, peut découler un renseignement de premier ordre.

Il remarqua aussi que la connaissance des uniformes étrangers a le même intérêt, car, s’il eût su distinguer un Prussien d’un Autrichien, il eût pu confirmer de suite la supposition du général Chazot, auquel avait échappé la présence de blessés prussiens à l’ambulance de La Croix.

Il reconnut enfin qu’il est indispensable, pour se retrouver en pays inconnu, de savoir s’orienter à l’aide du soleil pendant le jour où des constellations pendant la nuit. N’avait-il pas été obligé de se jeter hors des chemins frayés, et ne se fût-il pas fatalement égaré si l’obscurité l’avait surpris une heure plus tôt, en plein bois ?

À dater de ce jour donc, sa curiosité fut mise en éveil, son désir d’apprendre fut surexcité au plus haut point, et on le vit sans cesse questionner à tout propos, demander le pourquoi de tout ce qu’il voyait et feuilleter, à ses moments perdus, les quelques livres qui lui tombaient sous la main.

Cependant, dans la nuit qui suivit la reprise de la Croix-aux-Bois par les Autrichiens, l’armée française décampa sans bruit, et quand, le lendemain, Brunswick vint, en personne, jeter un coup d’œil sur les positions des Français où des feux étaient restés allumés à dessein toute la nuit, le camp de l’armée des Ardennes avait disparu.

Il s’était transporté, des trois heures du matin, à Braux-Sainte-Coyère, à quatre kilomètres de Valmy.

Non sans peine toutefois, car pendant sa retraite, l’armée de Dumouriez fut prise d’une panique subite à Montchentin, et Jean, qui suivait l’état-major du général en chef dans un fourgon à bagages, apprit avec stupeur, et en même temps avec tristesse, que c’était la division Chazot qui en avait été la cause.