Aller au contenu

Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au culte exclusif de l’argent, se passionne encore pour ce grand mot : l’honneur, et pour cette chose sacrée : le drapeau !


En foulant cette terre qu’il était venu chercher de si loin, le colonel Cardignac frémit de la tête aux pieds. Pendant quelques minutes, l’émotion lui coupa les jambes, et il resta sur le quai, incapable de faire un pas.

La traversée d’ailleurs l’avait encore affaibli, en l’empêchant de prendre l’exercice qui était indispensable à sa santé ; mais avec son énergie ordinaire, il ne voulut pas remettre au lendemain son pieux pèlerinage. Appuyé sur sa canne, il franchit le pont-levis, la porte de la ville, demanda son chemin à un milicien du corps de garde, et, en sortant de James-Town, s’engagea dans une petite vallée assez riante, ancien lit par où s’écoulaient les laves du cratère de Diane, à l’époque des éruptions.

C’était au sommet de cette vallée, il le savait par les récits du grand Maréchal Bertrand, que se trouvait, à huit kilomètres environ, le Tombeau de l’Empereur.

Mais, après vingt minutes de marche, il fut obligé de s’arrêter, ses jambes lui refusant tout service.

Il avisa un petit pavillon caché dans la verdure, entra, et son émotion redoubla lorsqu’il apprit du vieillard qui l’habitait, sir Balcombe, que c’était là le cottage de Briars, où Napoléon avait vécu pendant deux mois, à son arrivée dans l’île, en attendant l’aménagement de la ferme de Longwood.

— Vous êtes Français, Monsieur, ancien officier, sans doute ?

Jean Cardignac déclina son nom et ses titres, et le vieillard s’inclina avec une parfaite correction.

— Le motif qui vous amène est le plus respectable qui soit, dit-il, soyez le bienvenu dans cette maison. Voici la pièce, l’unique pièce où l’Empereur dormait, mangeait et travaillait. Je ne m’en cache nullement ; j’ai toujours rougi pour mon pays que Plantation-House, la demeure luxueuse et confortable du gouverneur, n’eût pas été mise à la disposition de l’illustre captif ; il n’y eût pas contracté les germes de la maladie qui l’a emporté, et Hudson Lowe, que j’ai connu, ne serait peut-être pas un objet de mépris pour l’univers civilisé et pour ses concitoyens eux-mêmes.

Puis il appela :

— Mary !