Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/140

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eut fini, voilà comment les Anglais écrivent l’histoire de France et essayent de salir ma gloire ; mais on ne force pas impunément la vérité.

« Et tranquillement, il m’expliqua que c’étaient les Russes eux-mêmes qui avaient mis le feu à leur ville pour l’obliger à la retraite. C’est bien vrai, n’est-ce pas, monsieur le colonel ?…

— Si c’est vrai ! s’écria Jean Cardignac ; mais j’y étais, à Moscou, et j’ai failli y rôtir avec mon ordonnance et mes chevaux. Ce furent des forçats russes qui, mis en liberté par le gouverneur, incendièrent méthodiquement chacun des quartiers de la ville.

Tout en causant, ils étaient arrivés sur un plateau dénudé où végétaient quelques arbres à gomme, entourant une espèce de ferme aux toitures à demi effondrées.

Longwood ! dit miss Mary.

Longwood, cet amas de masures ! Longwood, la demeure de l’Empereur pendant plus de cinq ans !

Le cœur de Jean Cardignac se contracta lugubrement.

Remettant à l’après-midi sa visite au tombeau, il pria miss Balcombe de l’accompagner d’abord à Longwood, ce à quoi elle acquiesça tout de suite.

La première pièce dans laquelle ils entrèrent était dénudée, couverte de noms et d’inscriptions ; tout y portait l’empreinte de l’abandon et du délaissement le plus complet.

— C’est dans la pièce voisine qu’il est mort, dit miss Mary à voix basse. C’est l’ancien salon.

Tête nue, le colonel Cardignac y entra, le cœur rempli d’une religieuse émotion.

Ô honte ! cette pièce, à laquelle le souvenir d’une telle mort eût dû imprimer à jamais un caractère sacré, était dans un état de malpropreté repoussante : le centre en était occupé par un sale moulin à blé, le plafond avait été détruit pour lui faire place ; le plancher était à moitié pourri ; les fenêtres avaient disparu, la porte ne tenait plus que par un de ses gonds[1].

La compagne du colonel, gênée par tout ce qu’elle devinait d’indigna-

  1. Tous ces détails et ceux qui suivent au sujet de l’exhumation de l’Empereur, sont rigoureusement authentiques, car ils proviennent du journal tenu à bord de la Belle Poule par le comte de Las Cases.