Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/151

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monter la garde à son tour dans la chapelle ardente, au milieu des faisceaux de drapeaux, pendant la longue traversée.

Mais aussi il n’eut pas à partager les angoisses de ces vaillants qui, à peine en mer, apprirent qu’à la suite des événements d’Orient, la guerre était imminente entre la France et l’Angleterre, et qui durent, par suite, se tenir sur un perpétuel branle-bas de combat, pour s’apprêter à défendre le précieux dépôt dont ils avaient la garde, et, s’il le fallait, s’ensevelir avec lui sous les flots.

C’était le 15 octobre 1815 que Napoléon, prisonnier, était arrivé à Sainte-Hélène ; ce fut le 15 octobre 1840 qu’il quitta la rade de Sainte-Hélène pour rentrer triomphalement dans sa patrie.

Le 30 novembre, après une heureuse navigation de quarante-cinq jours, la Belle Poule entrait en rade de Cherbourg, et le cercueil de l’Empereur était transbordé sur un bâtiment de faible tirant d’eau, qui, par la Seine, allait le ramener à Paris.

Si vous allez un jour visiter aux Invalides le Musée de l’Armée, mes enfants, vous y verrez le socle qui reçut, sur la Belle Poule, le cercueil de Napoléon.

Le colonel Cardignac, dont la fièvre était tombée, mais dont la faiblesse était extrême, fut hissé plutôt qu’il ne monta dans le coche de Paris. Il voulait y devancer son maître, revêtir son uniforme, et le recevoir, comme jadis, le sabre au côté, lorsque, de garde aux Tuileries, il commandait le piquet d’honneur.

Ce trajet en diligence de Cherbourg à Paris, il l’avait fait en 1802, au sortir des pontons anglais : il était jeune alors, plein de feu, voyant l’avenir en rose !

Quand il arriva à Paris, sa robuste nature était terrassée : ce dur trajet, sur des routes souvent pavées, dans ces coffres grinçants et trépidants qu’étaient les diligences d’alors, l’avait achevé, et, en le revoyant, livide, les traits émaciés, le dos voûté, les mains tremblantes, la bonne et tendre Lise poussa un cri de détresse et l’entoura de ses bras.

Mais l’œil du vieux soldat brillait encore d’une flamme intense, car ses enthousiasmes d’autrefois venaient d’emprunter aux émotions de Sainte-Hélène un renouveau de chaleur et de vie.

Il embrassa tendrement sa compagne bien-aimée ; puis, du ton autoritaire