Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/169

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— Voyons, mon petit Pierre, il faut avoir de la raison. Tu penses bien qu’à mon âge, je ne vais pas recommencer mes classes pour le plaisir de m’asseoir à côté de toi : j’ai autre chose à faire. Tu veux entrer dans l’armée : ce n’est pourtant pas pour y rester trompette de cuirassiers, comme tu le disais étant tout petit : il faut arriver officier, et pour cela faire ses études… Songe d’ailleurs que c’est par faveur qu’on t’a admis ici… Donc, sois brave ! Tours n’est pas loin… Si tu es sage, comme tu me l’as promis, je viendrai te voir. Allons !…

L’officier prit l’enfant par la main. Triste, Pierrot franchit le seuil de l’école comme un prisonnier passe la porte de la geôle… et, cette fois, des larmes jaillirent de ses yeux.

Attendri au fond, Henri Cardignac ne voulait rien en laisser paraître. Mais l’âme de l’enfant était profondément bouleversée, et on ne put tirer de lui que des monosyllabes pendant la présentation au Général commandant.

Pierre avait pourtant renfoncé ses larmes parce que Henri lui avait déclaré « qu’un soldat ne doit pas pleurer » ; mais la joie qu’il avait manifestée à la pensée d’endosser un uniforme tomba devant l’imminence de la séparation. Ce fut sans un sourire qu’il se coiffa du haut képi rigide, en drap rouge.

Pourtant il s’étonna de ne pas avoir d’épaulettes.

— Ah ! mais c’est aller vite en besogne ! lui dit le capitaine-major ; on n’a pas comme ça de belles épaulettes rouges sans les gagner. Si, à la fin du mois, tu as de bonnes notes, tu les auras tes épaulettes, et tu prendras le nom d’« élite », quitte à reperdre nom et épaulettes si tu te fais mettre aux arrêts ou si tu ne sais pas tes leçons.

« Maintenant, si tu travailles bien, tu peux, outre les épaulettes, gagner les galons de caporal, voire de sergent ou même le double galon de major ; mais, pour cela, il faut être le mieux noté de sa classe… Allons ! fais tes adieux au capitaine Cardignac, mon enfant ! Le sergent de service va te mener au 3e bataillon. »

Par un effort de volonté, Pierrot embrassa sans pleurer son protecteur et disparut derrière la porte à petit grillage, sous la voûte d’entrée.

Il faut vous dire, mes enfants, qu’à cette époque, existait à Saint-Cyr et à La Flèche une bien vilaine coutume, heureusement disparue aujourd’hui, et qui se nommait « la brimade ». Cela consistait à imposer aux nouveaux, qu’on baptisait du vocable peu élégant de « melons », toutes sortes de vexations.