Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/177

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œufs pour qu’elle se tînt provisoirement tranquille ; quant aux autres, il les cacha dans son pupitre.

Puis, satisfait, il rejoignit le préau où il s’enfila sans être remarqué. Il raconta alors la chose en confidence à quelques bons drilles, mauvais sujets comme lui, qui se promirent de l’agrément pour tout à l’heure.

Cinq minutes plus tard, le tambour annonçait la fin de la récréation et l’entrée en classe. Là, tous les camarades de Pierrot, prévenus maintenant, attendaient les événements, non sans se mordre vigoureusement les lèvres pour ne pas rire.

M. Laluot avait, comme d’habitude, déposé son chapeau haut de forme sur une chaise, contre le pupitre de Pierre Bertigny, dont la place se trouvait juste à côté de la chaire ; puis le professeur, se dirigeant vers le tableau noir :

— Messieurs ! annonça-t-il, nous allons voir si ma dernière leçon sur les triangles semblables a été bien comprise. M. Cousturier, venez au tableau.

L’élève désigné obéit ; et pendant que l’attention du professeur se portait sur lui, la classe vit avec stupeur Pierre Bertigny soulever sans bruit son pupitre, en tirer un œuf, le casser délicatement avec son pouce, et en vider le contenu dans le chapeau placé à ses côtés.

Devant cet acte extraordinaire, le rire secoua la classe, rire qui, du reste, cessa immédiatement quand on vit M. Laluot se retourner brusquement et froncer les sourcils.

— Qu’est-ce à dire, Messieurs ? — articula-t-il, non sans une certaine emphase. — Vous croyez-vous au théâtre ? J’ignorais, vraiment, que la géométrie plane eût le don de soulever l’hilarité, et je n’entends pas…

— Coin ! coin !… coin !  ! coin !  !…

C’était la cane, la cane prisonnière, qui protestait contre le manque de lumière.

Un silence suivit, lourd d’orages.

— Messieurs ! reprit avec calme M. Laluot, que celui qui se permet de pousser ici des cris d’animaux aussi déplacés se déclare immédiatement, ou je vais prendre au hasard quatre responsables.

Personne ne souffla. Tous les nez étaient penchés sur les cahiers. La classe entière avait l’air d’étudier avec une ardeur étonnante… Et soudain, dans le grand silence, la cane protesta de nouveau.