Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/184

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par Bugeaud en 1844 sur quarante mille Marocains ; enfin la prise d’Abd-el-Kader lui-même par le général Lamoricière, en 1847, et chaque succès remporté en Afrique, et lu à l’ordre à la Flèche, faisait tressaillir le cœur du petit Africain qu’était Pierre Bertigny.

Ce fut avec ces rêves de gloire qu’il vécut cette année 1849, au lieu de s’occuper de préparer son baccalauréat d’abord, et son examen de Saint-Cyr ensuite.

Il se présenta pourtant au « bachot » en mai ; échoua et, dépité, écrivit à Henri Cardignac une lettre de supplications :

« Je vous en prie, mon capitaine, laissez-moi m’engager ! Vous verrez comme on sera content de moi au régiment. Au moins, je pourrai me donner du mouvement, monter à cheval, vivre dans l’action, et je vous jure que j’arriverai quand même.

« Si je pouvais aller de suite aux spahis ou aux chasseurs d’Afrique et faire campagne, vous verriez !… Oui, vous verriez ! »

Mais le capitaine n’y consentit pas tout d’abord.

Ce ne fut qu’au cours des vacances de 1849 qu’il se décida à accéder au désir de Pierrot.

Quant à la cavalerie d’Afrique, il n’y fallait pas songer. D’abord on n’y recevait alors que des soldats ayant au moins un an de service. De plus, Cardignac ne voulait pas lâcher dans la vie ce tempérament de poulain échappé, sans l’avoir maté lui-même.

Justement il venait de recevoir, après son stage de capitaine écuyer, son quatrième galon ; il repassait, en qualité de chef d’escadrons, à son régiment de cuirassiers, à Tours.

Pierrot avait dix-huit ans, la taille réglementaire, car il s’était développé physiquement d’une façon extraordinaire ; et ce fut à son régiment même et dans l’un de ses escadrons, que le commandant Henri voulut conserver son protégé.

— Seulement, ne compte pas trop sur moi, mon garçon ! lui dit-il. Je vais te coller au peloton des élèves-brigadiers et je t’aurai à l’œil. Inutile de spéculer sur mon indulgence, car, bien au contraire, j’exigerai de toi deux fois plus que je n’exigerais d’un autre. Tu es averti : si tu persistes à t’engager, je te prends avec moi pour pouvoir te serrer la vis s’il en est besoin. Réfléchis et vois ce que tu veux faire.