Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/208

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énergiques, cavalier consommé et d’une force peu commune à tous les exercices du corps.

Il tenait de ce côté tout ce qu’il promettait à La Flèche ; mais il n’avait pu se débarrasser de son défaut principal, qui était de répondre toujours, et quand même, aux observations qui lui étaient faites. Son caractère, jadis indomptable, s’était plié aux exigences de la discipline militaire ; toutefois s’il acceptait sans sourciller les ordres ou les reproches de ses officiers, il arrivait difficilement à se contenir lorsqu’il avait affaire à un sous-officier dont il jugeait l’éducation inférieure à la sienne, et qui ne mettait pas dans la forme de ses apostrophes toute la correction voulue.

De plus, le hasard d’une permutation avait voulu qu’il retrouvât, au 9e cuirassiers, son ancien Delnoue, celui qu’il avait si magistralement bourré de coups de poing, le premier jour de son entrée à La Flèche.

Delnoue, qui n’avait pas non plus réussi à Saint-Cyr, était maréchal des logis-chef, par Conséquent le supérieur de Pierre, et, pour comble de malchance, dans le même escadron que lui. Or, il faut bien avouer qu’il n’avait pas oublié, bien que l’histoire fût déjà lointaine, la blessure d’amour-propre qu’il avait subie tout enfant, en se voyant « roulé », lui ancien, devant tous ses camarades, : par un melon, un melon saumâtre, comme on disait au Prytanée.

Il avait d’abord fait bonne figure à Pierre ; mais en plusieurs occasions, ce dernier avait peu-à-peu senti percer, dans la sécheresse des ordres donnés ou la fréquence des observations faites, l’animosité d’autrefois et il s’en était ouvert à son protecteur en lui demandant à changer d’escadron.

« Non, avait répondu nettement le commandant Cardignac : un soldat ne permute pas parce que tel ou tel de ses supérieurs lui déplaît ; où en serions-nous si de pareilles pratiques étaient admises dans l’armée ? Pourquoi pas tout de suite le suffrage universel pour les soldats, avec le droit de choisir leurs officiers ?

— Tu es assez vieux maintenant pour résister à un accès de mauvaise humeur ; oblige-toi au calme : c’est la plus belle qualité du soldat de carrière, et obéis à ce Delnoue avec plus de correction encore qu’à tes autres gradés. »

Pierre se l’était tenu pour dit et avait refoulé ses sentiments d’antipathie ; lorsqu’il avait affaire dans le service à son ancien camarade dont, je me hâte de le reconnaître ici, le caractère n’était ni loyal ni généreux, il prenait