Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/213

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car vous n’ignorez pas, mes enfants, qu’un chef d’escadrons de cavalerie commande à deux escadrons, c’est-à-dire à un demi-régiment, chaque escadron étant sous les ordres directs d’un capitaine commandant.

En apprenant cette désignation qu’il n’avait même pas eu la peine de solliciter, notre ami, malgré ce qu’il pensait de l’inopportunité de cette guerre, fut au comble de la joie : on n’empêchera jamais un militaire d’aimer la guerre pour elle-même : c’est dans le sang, surtout dans le sang d’un peuple qui, comme le nôtre, est né, a grandi et ne peut se maintenir que par la guerre. Aussi, tout en conservant une grande sympathie pour les Russes — sympathie que vous verrez d’ailleurs réciproque, même au plus fort du siège de Sébastopol — et tout en se rappelant qu’un russe, Moïloff, le moujik, avait jadis sauvé son père, après le passage de la Bérésina[1], Henri Cardignac ne s’en préparait pas moins à leur porter de bons coups de sabre, comme il sied à un cavalier français.

Il allait donc s’embarquer à Bône dans les derniers jours de mars, un peu inquiet seulement de n’avoir pas, depuis quelque temps, la moindre nouvelle de Pierre Bertigny et de ses galons, lorsqu’il reçut du capitaine Richard, du 9e cuirassiers, la terrifiante lettre que voici :


« Mon commandant,

« J’ai la douleur de vous apprendre que votre protégé Bertigny (no mle 4254) est en prévention de conseil de guerre pour un motif accablant : Voies de fait envers un supérieur dans le service.

C’est la mort ! Article 223 du Code de justice militaire.

« Vous seul pouvez le sauver en prenant sa défense : c’est l’avis de tous ici.

« Le général de division n’a pas encore donné l’ordre d’informer, mais cet ordre ne saurait faire aucun doute.

« Je suis, comme officier de police judiciaire, chargé de la première instruction et je vais essayer de gagner trois ou quatre jours ; puis le dossier sera transmis au général de division pour l’ordre d’informer ; mais avant que le rapporteur ait procédé aux interrogatoires, et que le général ait donné l’ordre de mise en jugement, vous aurez le temps d’arriver !

« Dieu veuille que vous le puissiez !

  1. Voir Jean Tapin.