Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/218

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Il réitéra sa question, et, saisissant le falot que portait le brigadier de garde, il le dirigea sur l’adjudant qui, les talons sur la même ligne, immobile comme une statue, semblait aussi ému que le commandant lui-même.

Et soudain, Henri le reconnut :

— Delnoue ! s’écria-t-il… c’est vous ?

Henri ne connaissait aucun détail du crime militaire imputé à Pierre, sinon que le brigadier avait frappé un supérieur dans le service ; mais, dès la première minute, il n’avait pas eu le moindre doute sur l’identité du supérieur en question : ce ne pouvait être que le sous-officier haineux, à qui il avait maintes fois reproché ses mesquines et basses rancunes.

L’attitude de Delnoue confirmait ses prévisions. Le sous-officier semblait pétrifié.

— Où est Bertigny ? répéta l’officier d’une voix brève.

— En cellule, mon commandant.

— Et le Conseil de guerre ?

— C’est pour demain !

— Demain ?

Henri respira : au moins il arrivait à temps.

— Vous pouvez être fier de votre œuvre, Delnoue, fit-il après un instant de silence.

Et comme le sous-officier, les yeux à terre, voulait répondre…

— Écoutez-moi, adjudant, reprit Henri d’une voix cinglante : Vous avez commis une infamie ; oui, une infamie, en poussant au crime ce garçon dont vous connaissez l’irritabilité et le caractère difficile. Vous avez déshonoré les galons que vous portez, en abusant de l’autorité qu’ils vous donnaient pour exaspérer un inférieur ; et comme sans doute cette basse vengeance était préméditée, savez-vous quelle épithète je vous inflige ? La plus terrible que je connaisse dans l’armée : celle de lâche !

— Oh ! mon commandant, mon commandant ! bégaya Delnoue.

— Oui, reprit l’officier, le gradé qui martyrise le soldat, de même que l’ancien qui martyrise la recrue et qui arrive ainsi à lui rendre le service militaire odieux, ce gradé-là est un lâche d’abord, car il ne risque rien, et c’est un mauvais Français ensuite, quand il arrive au sinistre résultat que vous avez atteint, car il enlève à son pays, pour le jeter à la honte, un soldat qui ne demandait qu’à bien servir !… Heureusement, les misérables tels que