Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/232

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Après avoir demandé pour Delnoue l’indulgence de son colonel, car sa faute ne relevait pas du Conseil de guerre, il conclut par les paroles suivantes qui furent religieusement écoutées :

« Messieurs du Conseil, dit-il, permettez-moi de vous adresser une dernière prière. Elle correspond, je le sens, aux sentiments qui font battre, à cette heure, tous nos cœurs à l’unisson. Ces deux hommes ont failli gravement : tous deux ont besoin de se réhabiliter.

« Or, un soldat ne se réhabilite vraiment que devant l’ennemi.

« Une guerre s’ouvre, Messieurs, qui s’annonce comme pénible et glorieuse tout à la fois ; faites que ces deux soldats, désormais unis par une amitié éclose dans ce sanctuaire de la justice, soient désignés pour faire partie de l’armée d’Orient. Il vous suffit pour cela de les signaler au bienveillant intérêt du général de division.

« Je suis sûr, en vous le demandant, d’être leur interprète à tous deux.

« Les galons qu’ils vont perdre, il les regagneront vite par leur courage ; et, de cette inoubliable journée qui devait marquer pour l’un une condamnation infamante et être pour l’autre l’origine d’un remords éternel, il ne restera que le souvenir apaisant de votre clémence et de leur retour au devoir. »

Les larmes de bonheur qui coulaient sur les joues de Pierre Bertigny prouvèrent au commandant Cardignac qu’il venait, en parlant ainsi, d’achever son œuvre de salut.


C’est ainsi, mes enfants, que six semaines après, le 14 mai, Delnoue, remis brigadier, et Pierre Bertigny, cassé de son grade et devenu cavalier de 2e classe aux chasseurs d’Afrique, s’embarquaient sur la frégate à vapeur le Christophe-Colomb, à destination de Gallipoli.

Et leur bonheur était grand à tous deux, car ils allaient se refaire une vie nouvelle et cimenter, sur les champs de bataille, une amitié née des plus rudes épreuves ; de plus, ils avaient la joie de retrouver auprès d’eux et d’accompagner le commandant Cardignac, qui, à la suite d’une démarche personnelle auprès du Maréchal Vaillant, avait enfin obtenu l’autorisation de rejoindre son escadron.

En attendant, Henri avait été attaché, pendant le voyage, à la personne du colonel Trochu, qui, nommé premier aide de camp du Maréchal commandant l’Armée d’Orient, rejoignait son chef. — C’est ce même colonel Trochu,