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« Francis bono » qu’ils avaient entendues dans la bouche des turcos, les deux sujets de la reine Victoria finirent par se faire comprendre.

Ils avaient faim !

Et quand un Anglais a faim, rien ne va plus !

— Conduis-les à ton peloton, Pierre, dit le commandant Cardignac qui savait un peu d’anglais : voilà justement qu’on vient te relever ; dis au brigadier d’ordinaire de leur faire une part de vos vivres : à la prochaine distribution, je lui revaudrai cela. Quant à moi, je vais au campement des Anglais, à deux pas d’ici, et je reviens de suite.

Quelques instants après, nos deux insulaires étaient assis autour d’un bon feu de bivouac et assistaient, avec un intérêt très marqué, à l’ébullition de la soupe et à la préparation du café.

Levés depuis minuit, les cuisiniers du peloton, après avoir construit leurs fourneaux avec quelques pierres et avoir rôdé aux environs pour trouver du bois, avaient pressé la confection de la soupe : car, prévoyant une journée longue et pénible, le commandant Cardignac avait prescrit de préparer un repas chaud, ; et fait toucher une double ration de viande dont la moitié serait emportée froide dans les sacoches.

Brocard, le cuisinier, armé d’un bâton, remuait bouillon et légumes dans les marmites de fer-blanc, pendant que son aide, à défaut de filtre, passait consciencieusement le café dans un couvre-nuque.

Les chevaux étaient restés sellés toute la nuit, car l’escadron était en poste avancé, et les hommes, gamelle en mains, attendaient la distribution. Ils regardèrent curieusement les nouveaux venus :

— Ils n’ont donc jamais vu faire une soupe ou un rata ? remarqua Brocard.

— On le dirait bien ! quels yeux ils font !

— Et quelles dents surtout : regardez-moi le plus grand : un vrai clavier de piano !… dit un des loustics de l’escadron.

— Tu peux leur tailler une bonne portion, tu sais, Brocard !

— Pourtant, dit Pierre, je leur ai vu distribuer l’autre jour des quartiers de viande énormes : leurs rations sont au moins trois fois plus fortes que les nôtres ; je parie qu’ils en ont un kilo par tête.

— Tu as raison, dit Delnoue, mais ils ne mettent pas leurs vivres en commun comme nous et ne savent pas ce que c’est qu’un ordinaire ; chez