Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la suspension d’armes, les balles se remettaient à siffler, des tranchées aux parapets et des parapets aux tranchées.

Aussi est-ce avec raison qu’on a dit récemment que les souvenirs pleins de cordialité de Sébastopol avaient puissamment contribué à faire l’alliance, aujourd’hui solidement nouée, entre la France et la Russie.

Un matin, le canon venait de se taire et une suspension d’armes venait d’être notifiée. Suivi de Pierre, Henri Cardignac qui attendait cette heure avec impatience depuis plusieurs semaines, se dirigea vers les glacis de Malakoff.

L’énorme bastion avait encore grandi : les parapets s’y accumulaient, monstrueux, barrés d’énormes traverses qui formaient autant de barricades à l’intérieur de l’ouvrage, et le commandant, qui du sommet du glacis mesurait des yeux la profondeur du fossé, se demandait comment les batteries de brèche arriveraient à le combler, lorsque Pierre lui toucha le bras.

— Voilà Yvan Mohilof, dit-il… c’est lui !

Debout sur la plongée, de l’autre côté de l’escarpe, le vieux sous-officier attendait dans une attitude militaire, et, sur un signe du commandant, se dirigea vers lui par une passerelle mobile, jetée sur l’un des flancs du bastion.

Presque aussitôt, un jeune homme portant le costume d’artilleur le rejoignit, et le colonel de Korf arriva pour servir d’interprète.

Je vous laisse à penser, mes enfants, quelle fut l’émouvante surprise du petit-fils de Fédor Mohilof, quand il se trouva en présence du fils de ce Français que le testament de son grand-père, c’est-à-dire un document sacré pour un Russe, lui avait ordonné d’aimer et de respecter comme un hôte sacré.

Il mit un genou en terre devant l’officier, lui prit la main et la baisa ; puis, gravement, le colonel de Korf traduisit ses paroles :

— Petit père, dit-il, et ce titre, très usité en Russie par les moujiks, était particulièrement touchant dans la bouche du vieux soldat, je remercie Dieu qui m’a permis de te voir avant de mourir. Mon grand-père parlait souvent du chef français qui avait éloigné le malheur de son toit : que ses enfants soient bénis : je te présente mon fils. Il porte le nom que tu connais : Fédor, et a déjà un petit enfant que le canon endort chaque soir là-bas dans