Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/311

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D’ailleurs les Russes eux-mêmes étaient à bout de forces : toutes les armées du Tsar étaient venues successivement se fondre dans ce sanglant creuset de Sébastopol, et il était constant pour tous que la prise de Malakoff, en faisant tomber la ville, amènerait la fin de la guerre.

— Pas de chance, Vautrain, dit le commandant Cardignac à son lieutenant, lorsque ce jour-là, vers neuf heures du matin, les batteries reprirent le bombardement avec plus d’intensité que jamais ; non, pas de chance pour la cavalerie dont le rôle est nul, un jour comme celui-ci. Aussi vais-je planter là mes escadrons pour aujourd’hui et offrir mes services à ce brave général Bosquet.

— Qui sait, mon commandant, nous aurons peut-être une diversion du côté de la plaine.

— Je ne le crois pas : si le cœur vous en dit et s’il n’y a rien de nouveau, venez donc me retrouver dans la sixième parallèle vers deux heures : le spectacle y sera émouvant.

— L’assaut est pour midi juste, mon commandant.

— Oui, le général Pélissier a eu peur qu’on ne confondît encore les fusées-signaux avec les bombes, comme le 18 juin, et tous les officiers ont réglé leurs montres hier sur l’heure du quartier général : il n’y aura donc pas de signal : à midi juste, on s’élancera.


À onze heures, Henri Cardignac arrivait dans la sixième parallèle et obtenait du général Bosquet, qui l’aimait beaucoup depuis l’Alma, l’autorisation de lui servir d’officier d’ordonnance. Ce n’était d’ailleurs pas sans raison que Henri avait choisi ce poste, car tout près de cette parallèle avait été construite la batterie où les douze pièces rayées de Jean tonnaient depuis l’avant-veille, envoyant, grâce à leur longue portée, des obus de quatre-vingts kilogrammes jusqu’aux extrémités de la ville.

Depuis trois jours, le bombardement préparatoire à l’assaut — un bombardement infernal, suivant l’expression du prince Gortchakof — avait commencé de partout, sans trêve ni repos : huit cents pièces du côté des alliés, quatorze cents du côté des Russes tonnaient à la fois, et jamais guerre n’a engendré pareil duel d’artillerie.

Le spectacle de ce drame avait une majesté sinistre : du sein de la grande rade, sous un ciel d’un rouge ardent, une colonne de flammes illu-