Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mahurec avait vu plusieurs fois, dans la tente de son officier, le maréchal des logis Pierre Bertigny, et celui-ci l’avait chaleureusement félicité pour le beau trait de courage que je viens de citer.

— Tu pars donc aussi, Mahurec ? lui demanda Pierre.

— Non pas, marchi, mais le commandant m’a permis de vous accompagner jusqu’à bord pour vous y porter un cadeau.

— Un cadeau ! pour moi ?

— Oui, pour vous — et il montra à Pierre un volumineux paquet qu’il portait sur ses genoux.

Pierre allait se récrier ; étant un des premiers chasseurs rapatriés, il avait déjà dans tous les coins des souvenirs de toutes sortes et quelques-uns même assez encombrants, puisque l’adjudant de son escadron n’avait pas craint de lui confier, à titre de relique, un énorme culot d’obus qu’il envoyait à ses parents.

Mais le Breton ne lui en laissa pas le temps.

— Je vais vous dire, fit-il : en venant sur le Primauguet nous avons passé à travers une tempête du diable, pas loin de la Sardaigne, et j’ai bien regretté de n’avoir pas emporté une ceinture comme les anciens en ont là-bas à Paimpol, lorsqu’ils embarquent sur le canot de sauvetage. Puis, quelque temps après, ça a été le naufrage de la Sémillante, perdue corps et biens. S’ils avaient eu ma ceinture, beaucoup en seraient revenus ; alors, à mes moments perdus, je me suis amusé à en confectionner une ici. Prenez-la, marchi, on ne sait pas ce qui peut arriver.

— Merci, dit Pierre ; mais je sais nager et il vaut mieux que vous la gardiez pour vous au retour.

— Oh ! moi, je m’en referai une autre. Vous savez bien qu’il y a dans la vallée d’Inkermann des chênes-liège tant qu’on en veut ; ça n’est pas le bouchon qui manque ; mais vous verrez : ça n’est pas une ceinture ordinaire ; avec celle-là vous flotteriez trois jours dans l’eau sans vous enfoncer, et puis, hier, j’ai ajouté quelque chose, rapport au petit Russe que vous emportez. C’est même à cause du gosse que j’ai songé à vous l’offrir. Acceptez, allez, marchi !

Pierre avait accepté en souriant tristement et avait déposé le cadeau du Breton à la tête de sa couchette.

À midi, le 12 septembre, la Stella Maris, l’Étoile de la Mer, levait l’ancre :